Love, Honor and Cherish

Love, Honor and CherishAlors que le plus grand conflit de l’histoire de l’Humanité faisait rage, Opale et Nicholas s’éprirent l’un de l’autre. Nicky suivit des entrainements à Fort Benning et Fort Bragg, puis fut cantonné « quelque part en Angleterre », il combattit en Normandie le Jour-J dans les rangs du 502nd PIR de la 101st US Airborne Division, puis lors de l’Opération Market Garden. Pendant tout ce temps Opale et Nicholas entretinrent une correspondance active, échangeant sur leur amour, leur foi, leurs espoirs… Quand leur fille lut ces lettres, bien plus tard, elle découvrit un homme et une femme qu’elle ne connaissaient pas. C’était l’histoire d’un homme qui avait eu faim, froid, et manqué de sommeil, un homme qui avait été prêt à mourir pour sa famille, ses amis et sa patrie. C’était l’histoire d’une femme qui avait voué son amour à un homme qui avait lui-même tout sacrifié.

Ces lettres choisies sont tirées de l’ouvrage Love, Honor and Cherish, de Sandra Bonilla Thompson, Airborne Books Savannah Georgia. Tous les droits de l’auteur des textes et des photographies sont réservés. Toute reproduction ou utilisation des œuvres, autre que privée ou à fin de consultation individuelle sont interdites, sauf autorisation. Photos : Sandra Bonilla, National Archives USA

Aout 1942, un coup de foudre Quand Opale rencontra Nicky en juin 1942, elle fréquentait un type qui s’appelait Elmo. Elmo était très attaché à Opale et respectait sa famille. Opale aimait bien Elmo mais n’en était pas amoureuse, et n’envisageait pas de l’épouser un jour. Opale fut très attiré par Nicky, comme par aucun homme auparavant. Il était beau, sûr de lui, il avait de l’expérience et il lui plaisait beaucoup. Après quelques rendez-vous, Opale cessa de voir Elmo. Ce dernier fut profondément blessé et enragea de se voir remplacé par un soldat qu’elle venait à peine de rencontrer. Elmo lança à Opale : « j’espère que ce fils de p….. se fera tuer à la guerre ! », ce qui mit fin à leur amitié. Bientôt Nicky demanda Opale en mariage, elle accepta au bout de quelque temps. Ils se voyaient chaque semaine, mais s‘écrivirent malgré tout quelques lettres.

25 aout 1942. Butch est blessé Chère Opale, Je suis bien arrivé à Fort Benning, mais fatigué. En route vers le camp je pensais à toi, je t’adore et j’aime être avec toi. On se verra samedi prochain et on ira dîner. J’ai une mauvaise nouvelle. L’autre jour, un soldat est accouru me chercher en jeep sur le terrain pour me prévenir que Butch, mon bouledogue anglais, était blessé. Je me suis précipité au camp, et un triste spectacle m’attendait, Butch saignait de la gueule et avait une patte cassée. Il avait rompu sa laisse et une mule lui avait donné un coup de sabot en pleine tête. J’étais fou, mes hommes étaient assemblés, abattus, autour de la pauvre bête. J’ai emprunté un véhicule et foncé chez le vétérinaire de la ville. Je le pressais de faire le maximum, il me répondit que ses chances étaient de 50/50. Samedi je t’apporterai les petites ailes, elles seront le symbole de notre engagement en attendant que je puisse t’offrir une bague. Et j’aurai une surprise pour toi. Je pense toujours à toi. Nicky. PS : excuse-moi pour le papier un peu courant, mais je n’aime pas trop les fantaisies, et toi ?

B Company, Nicholas (seated eighth from the left)

B Company, Nicholas (seated eighth from the left)

27 aout 1942. Je hais les mules Cher Nicky J’étais très heureuse de ta lettre, et surprise en même temps. Puisque tu viens à Birmingham ce week-end je ne m’attendais pas à ce que tu m’écrives. Je suis désolée pour Butch, j’espère qu’il va se rétablir. Pauvre bête, je n’aimais pas les mules, et maintenant j’ai une raison de plus de les détester. Tu dis que tu as une surprise pour moi, je n’aime pas trop les surprises, peut-être que celle-ci sera différente des autres. Je suis heureuse que tu viennes, et je suis sûre que nous allons passez un agréable week-end ensemble. Sincèrement. Opale.

1er septembre 1942. J’aimerais te faire visiter New-York Chère Opale, Tu me dis que tu as été surprise de ma lettre, mais ne t’avais-je pas promis de t’écrire ? Butch est rentré à la maison, mais il a changé, si quelqu’un essaye de le taquiner, il grogne et mords. Peut-être que cela ira mieux quand il sera guéri. En rentrant samedi soir j’ai attrapé un bus spécial pour Colombus (Georgie), j’étais rendu à 1h30 du matin, pas mal n’est-ce pas ? La première fois que je t’ai vu, mon cœur a fait un bond, et depuis mon envie de te connaître ne fait qu’augmenter. Mais je sais que je dois te plaire, et c’est ce que je m’efforce de faire. Chérie, je t’ai parlé d’Anne, une ex petite amie, je l’aimais bien mais ce ne fut qu’une histoire sans lendemain. Je vais à New-York la semaine prochaine, j’aimerais bien que nous y allions ensemble. J’aimerais bien te faire visiter la ville, t’emmener dans un bon restaurant, et voir un spectacle sur Broadway. J’aimerais parler de toi à ma famille mais j’attendrai que tu sois sûre de toi. Ma permission finit lundi, mais je pourrai peut-être me libérer vendredi soir, si je ne suis pas blessé dans le saut de demain. Si on ne peut pas se voir vendredi soir, on se verra samedi soir. Je pense à toi. Nicky.

Paratrooper training Paratrooper training

20 septembre 1942. Les petites ailes Chère Opale, C’est sans doute la plus mauvaise nouvelle depuis longtemps, le 502nd Parachute Infantry Regiment va quitter Fort Benning. Je ne sais pas où nous allons. On peut traverser l’Atlantique ou aussi bien aller dans un autre camp. Cela me déchire de devoir te quitter, mais je ne peux pas déserter, je ne suis pas un lâche ni un fou. Je vais venir à Birmingham pour t’épouser, je t’apporterai des petites ailes de parachutiste. Elles seront le symbole de notre engagement mutuel en attendant que je puisse t’acheter une bague. Si je ne peux pas venir je te les enverrai. Je veux passer tout le temps que je peux avec toi. Je suis triste et j’ai le cafard, les larmes me montent aux yeux. Je ne dirai ça à personne d’autre que toi, tu es celle que j’aime. Pour toujours. Nicky.

23 septembre 1942. Adieu Fort Benning Chère Opale, c’est la dernière lettre que je t’écris de Fort Benning, nous partons demain matin à 11 heures. Je te donnerai des nouvelles dès mon arrivée. Marrions-nous dès que possible, tu pourras me joindre où que je sois. Tu vas me manquer, surtout le week-end. De toute façon ma permission était terminée ; quand j’étais en Alabama avec toi le commandant de compagnie a envoyé un télégramme chez moi à New York pour dire que je reviendrai vite. Le capitaine a dit qu’il s’occuperait de moi dans le nouveau campement. Je peux être à l’autre bout du monde, je serai toujours près de toi. Bien à toi, Nicky.

24 septembre 1942. J’attends ta visite Nicky chéri, la nouvelle de ton départ de Fort Benning me rend triste et m’inquiète. Mais tu peux me faire confiance pour être courageuse et patriote, et garder mon sang-froid. Où que tu sois, je t’aimerai et je te serai fidèle. J’attends ta prochaine visite. Opale Chère Opale, Je suis bien arrivé à Fort Bragg après un voyage épouvantable. Le train était sale et plein de fumée, il était bondé et je n’ai même pas pu accéder aux toilettes. À mon arrivée j’étais dégoûtant. Je ne peux rien te dire sur Fayetteville, j’y suis resté trop peu de temps. Tu me manques, je t’écrirai bientôt. Bien à toi, Nicky.

27 septembre 1942. Une fille de l’Alabama Chère Opale, Je suis triste d’être si loin de toi. Aujourd’hui le temps est gris, mais si tu étais là, mon univers serait lumineux et ensoleillé. J’ai trouvé un juke-box dans le village avec notre titre, j’ai écouté Je pense à toi une vingtaine de fois. La serveuse m’a pris pour un cinglé. Je lui ai dit que j’étais fou amoureux, « de qui ? » m’a t-elle demandé, je lui ai répondu : « d’une fille de l’Alabama ! ». Elle a ri. Elle pensait peut-être que je plaisantais, elle ignorait que je connaissais une jolie fille de l’Alabama. À bientôt chérie. Nicky.

29 septembre 1942. Hier soir j’ai vu un film avec Errol Flynn Chère Opale, il a fait très froid la nuit dernière, j’avais deux couvertures et mon manteau pour avoir chaud, Quand je me suis levé, j’étais gelé. On mange bien, j’ai de l’appétit. Hier une vingtaine d’hommes de la compagnie ont été envoyés quelque part, ils n’ont pas eu le temps de prévenir qui que ce soit. Si cela m’arrive, promets-moi de m’attendre même si tu ne reçois pas de lettre pendant des mois. Tu m’as promis de m’attendre l’éternité. Nous avons eu un couvre-feu de 19h45 à 20h45, j’étais allongé dans le noir en pensant à toi. Je t’imaginais dans une magnifique robe verte, tu mettais une de nos chansons préférées au phonographe, je tamisais la lumière, tu venais t’asseoir près de moi, je te serrais dans mes bras et je t’embrassais. J’étais bien dans la pénombre. Si tu me décevais, je crois que je ne pourrais plus jamais aimer, mais je sais que tu ne me décevras pas. Je penserai à toi ce soir à 20 heures. Hier soir j’ai vu un film avec Errol Flynn : Desperate journey, c’était excellent, j’ai regretté que tu ne sois pas avec moi. Ce matin j’ai installé des rideaux à la fenêtre de ma chambre dans notre baraquement, et je me suis dis que, toi, tu saurais comment la rendre plus vivable. Je t’ai dit que tu pouvais sortir et t’amuser, tu m’as répondu que tu ne voulais sortir qu‘avec moi, chérie c’était ce que je voulais entendre. Je me suis renseigné sur les chambres dans la ville basse, c’était difficile mais j’ai trouvé un petit nid douillet pour nous deux. Un jour je devrai partir à la guerre, mais je me bats pour des gens comme nous qui veulent se marier et fonder une famille, vivre libre et en paix. Quand la guerre sera terminée, nous aurons toute la vie devant nous. J’ai bien aimé la trace de tes lèvres sur les lettres, je les ai embrassés et c’est comme si c’était toi que j’embrassais. Je pouvais presque goûter le rouge à lèvres, chérie continue à mettre au moins un baiser sur tes lettres. Bien à toi. Nicky.

27 octobre 1942. 150 nouvelles recrues à entrainer Bonjour Opale chérie. Te souviens-tu que j’avais 150 nouvelles recrues à entrainer ? Je les ai emmené sur le champ de tir, et une vingtaine se sont révélés de piètres tireurs, je serai peut-être obligé de m’en séparer. Je n’aime pas faire ça mais je ne veux pas combattre avec des hommes qui ne savent pas tirer. Je veux rentrer chez moi sain et sauf. Des soldats combattent et meurent chaque jour, et nous devons pouvoir vivre libres sans cette poignée de nazis et de traitres de Japs… Bonne nuit chérie.

2 novembre 1942 Cher Nicky Mon frère James est venu me voir. Il s’est engagé dans l’Armée de l’air. Cela me désole de le voir partir, je pense que le service militaire sera une bonne chose pour lui mais il est si jeune. Je suis assise sur mon lit au milieu de tes lettres et de tes photos. Si tu me voyais tu me trouverais horrible. Je porte une robe de chambre et un gilet, je suis pieds nus, les cheveux dans les yeux et sans maquillage. On dirait une sorcière. Bien sûr tu ne me verras jamais ainsi. Je porte mes petites ailes d’argent tout le temps. Les gens me demandent : « Est-ce que vous avez un petit ami dans les parachutistes ? ». Je m’empresse de leur parler de toi. Beaucoup de soldats viennent chez Roméo, quand ils aperçoivent les petites ailes, ils n’essaient même pas de me fixer un rendez-vous. Ils disent : « Regarde, elle porte les petites ailes pour quelqu’un ». Madame Roméo essaye de me dissuader du mariage, elle me dit que les hommes sont des bons à rien. Mais elle ne connaît pas mon Nicky. Si tu me demandes de devenir catholique je le ferai, je sais que ma famille s’y opposera mais cela ne fait rien.Je crois que nous pouvons vaincre tous les obstacles et que notre bonheur durera toute la vie. Je t’aime pour toujours. Opale.

20 février 1943. Je crois bien qu’un petit Nicky est en route Chéri, Maman et papa se sont installés à Irondale, un petit village dans la banlieue de Birmingham. Je leur ai rendu visite pendant quelques jours. Ils ont déjà vécu ici auparavant, ils ont des frères et sœurs qui habitent là. Leur nouvelle maison est plus solide que la précédente. Elle est construite en pin, avec un beau séjour, une grande cuisine, trois grandes chambres, une salle de bain et un porche. La maison est juste derrière l’église baptiste, maman peut s’y rendre en une ou deux minutes. La maison est à un bloc de la ligne de bus, à coté du supermarché, de la pharmacie et de la poste. J’étais heureuse de voir maman, papa et Dot. Tout le monde est impatient de te rencontrer. J’ai apporté une photo de toi que j’ai montré à tout le monde. Quand maman l’a vue elle t’a trouvé charmant. Pendant que je discutais avec les gens, Freddie est entré, il a grandi et il a bonne mine. Maintenant que tout le monde est là, nous allons faire des photos et je t’en enverrai. Chéri, hier soir je suis allé chez le docteur et il a dit que j’étais enceinte de trois mois. Qu’en penses-tu chéri ? Je sais que nous avons convenu d’attendre la fin de la guerre pour fonder une famille, mais je crois bien qu’un petit Nicky est en route. S’il est comme toi je vais l’adorer. A toi pour toujours. Opale.

26 février 1943. Cela me manque de te serrer contre moi Opale chérie. Je suis désolé que tu ais du attendre ma lettre si longtemps. Je ne t’ai pas écris parce que dimanche dernier j’étais à l’infirmerie avec 38,3° C de fièvre. On m’a admis à l’hôpital et je ne suis sorti qu’aujourd’hui à midi. Robbins, un des gars de la compagnie B est passé me voir et comme d’habitude il a fait toute la conversation. Il parle beaucoup pour ne rien dire. Je faisais semblant de l’écouter pendant que je t’écrivais, je suis perdu sans toi. Si je rentre à l’école des officiers j’irai à Fort Benning et ce sera formidable. Chérie, je sais que nous avions convenu de ne pas avoir d’enfant avant la fin de la guerre, mais je suis content que nous ayons bientôt un bébé, on se débrouillera. Cela me fait mal de penser que tu souffres et que tu vis des moments difficiles alors que je ne serai pas là. Cela me manque de te serrer contre moi, d’être allongé près de toi, et même de sentir tes pieds froids contre mon dos. Ton mari. Nicky.

Opal Keith

Opal Keith

23 mars 1943. Le Général Marshall doit visiter notre camp Opale chérie, cet après-midi, le chef d’état-major, le General Georges Marshall doit visiter notre camp. Notre bataillon doit répéter un exercice devant lui. J’aurai peut-être une permission après. Nous avons répéta la bataille mais le général n ‘est jamais venu. Il viendra demain et nous devrons tout recommencer. Hier il a neigé pendant une demi-heure, et je pouvais à peine distinguer ma main devant mon visage. Puis la neige a cessé et le temps s ‘est réchauffé. Mercredi nous partons en manœuvre pour sept ou huit jours. S’il te plait continue de m’écrire, j’aurai tes lettres à mon retour. Je t’écrirai tous le jours si je le peux, et je t’expédierai les lettres en même temps. Je n’ai rien entendu dire sur le nouveau camp. A bientôt, ne change pas. Est-ce que tu te souviens de Sadie Hawkins, le gars que tu as vu un soir devant le cinéma ? Il dort à côté de moi, et si je l’attrape à regarder ta photo je lui ferai baisser la tête en disant : « Je m’excuse d’avoir posé mes yeux profanes sur votre beauté divine Ms Bonilla, s’il vous plait, pardonnez-moi ». Je t’aime. Nicky.

25 mars 1943. Nous avons décollé pour faire un saut Opale chérie, aujourd’hui nous sommes descendu à l’aéroport de Pope. Nous avons décollé pour faire un saut. Nous avons attaqué un aéroport à 75 kilomètres, bien sûr nous l’avons capturé. Nous sommes au camp, et je t’écris sous ma tente. Une bougie dans une boîte de conserve me donne de la lumière. Les gars m’ont demandé ce que je pensais de tout ça, je leur ai répondu qu’un bon soldat doit toujours être bien entraîné. Je dois éteindre maintenant car c’est le couvre-feu. Je t’aime. Nicky.

27 mars 1943. J’ai capturé trois jeeps et seize hommes Opale chérie, je ne t’ai pas écrit hier parce que nous n’étions pas au camp de base. On était prêt à partir à tout moment pour un exercice. On ne pouvait pas faire de feu ni fumer car l’ennemi aurait pu nous repérer. Le dernier exercice était amusant. Le 401st Glider Infantry était notre ennemi. Nous les avons attaqué à 6 heures du matin, nous les avons repoussés et exterminés. J’ai capturé trois jeeps et seize hommes. J’ai mis de l’eau dans une jeep et j’ai poursuivi l’ennemi. En réalité je n’ai pas vu la B Company pendant plusieurs jours. J’ai même pris une douche chez un barbier dans un petit village , il m’a demandé cinquante cents. C’est le matin, je porte des sous-vêtements épais, deux paires de chaussettes, une casquette de laine et mon imperméable. J’ai froid aux mains mais je n’y fais pas attention. Je veux t’écrire, mais si j’étais au pôle nord j’aurais encore envie d’écrire à ma femme adorée. Quand je viendrai en Alabama me feras-tu un dîner toi-même ? Chérie ne bois pas trop de café, cela pourrais faire du mal à junior. Ton mari. Nicky.

4 avril 1943. Des bombes seront lâchées… Nicky chéri, nous allons avoir un exercice d’alerte aérienne à Birmingham. Des avions ennemis vont tenter de détruire les usines de guerre. Des bombes seront lâchées, des sacs plein de sciure. Les sacs rouges avec des rubans représenteront les incendiaires et les explosifs, les jaunes et les verts représenteront les autres bombes et les gaz. Tous les ouvriers doivent être au travail avant 14 heures. Tout le monde doit rester à l’intérieur. J’ai tellement envie de te revoir. Je t’aime. Opale.

30 avril 1943. Après ta permission, dis-lui d’aller en enfer ! Nicky chéri, Papa a posté ma lettre ce matin au bureau et je me refuse à lui demander d’y retourner cet après-midi. Je pensais attendre demain mais je n’aurais pas pu dormir en pensant à ta lettre qui m’attendait. Vers 16h45 je me suis levé et je suis arrivée au bureau juste à temps. Maintenant que je l’ai lue je vais dormir comme un bébé, et j’espère rêver de toi. Les lettres que tu postes le matin arrivent en moins de trois jours. Des cousins m’ont rendu visite hier. Ils répètent tout ce qu’ils entendent, je n’ai rien dit sur Nicky junior. Ils m’ont dit que j’avais l’air en forme, et je rentrais mon ventre. Tout le monde le saura bien assez tôt. Chéri, ne fais pas enrager ton capitaine, il pourrait t’empêcher de rentrer, ce sale type. Il n’est pas capable de reconnaître un bon soldat quand il en voit un. Après ta permission, dis-lui d’aller en enfer ! Je t’aime. Opale.

Sergeant Nicholas Bonilla

Sergeant Nicholas Bonilla

21 juin 1943. Je suis désolé de t’avoir raté en Alabama Excuse-moi de t’avoir fais attendre, je ne pouvais pas t’envoyer de courrier du Tennessee. J’ai réussi à t’écrire lundi 7 juin. Le mardi suivant, on nous a transporté à l’aérodrome d’Evansville pour faire un saut dans le Tennessee. Nous sommes repartis hier. J’étais un peu déçu de ne recevoir que trois lettres de toi, tu avais dis que tu m’écrirais tous les jours. Je t’ai raté en Alabama, mais je suis rassuré que tu sois bien rentrée. Je pensais que tu serais peut-être là, je t’ai cherché du regard de la plate-forme du train, mais je ne t’ai pas vue. ll y avait une telle foule dans la gare, et je ne pouvais pas descendre du train. J’aurais tant aimé te voir juste une heure ou deux. Tu m’a dis que tu étais arrivé à Atlanta à 9 heures du matin, et que tu avais attendu jusqu’à 17 h 45 ta correspondance, cela a du être une longue attente. Je savais qu’il n’y avait qu’une toute petite chance de se voir. Le docteur Scott a dis qu’il prendrait soin de toi et de junior pour 150 $, est-ce qu’il veut la somme comptant ou peut-on le payer tous les mois ? N’oublie pas que tu as droit encore à six bons, et il y a la police d’assurance. La nourriture que tu nous a envoyé a duré un bon moment, le fromage était excellent, même si la cire avait imbibé le papier. Mon ami Angelini et moi te remercions pour tout. Je t’aime. Je pense tout le temps à toi. Nicki.

8 juillet 1943. C’est moi qui avait le plus de lettres de toute la compagnie Opale chérie, je suis allongé dans ma tente au sommet d’une montagne, et j’écris à ma femme aimée. J’utilise une des bougies que tu m’as envoyées. Je suis désolé de ne pas t’avoir écrit plus tôt, mais aussitôt après ma dernière lettre, nous sommes partis en manœuvres. Nous sommes montés en camion à Evansville, puis nous avons roulé en direction du Tennessee, jusqu’à un endroit situé à une cinquantaine de kilomètres de Nashville. Dès notre arrivée, nous avons combattu «l’ennemi» sans arrêt. Je n’ai pas quitté mes bottes et je ne me suis pas rasé pendant cinq jours, tu peux imaginer comme j’étais sale. Es-ce que tu te souviens des poux que j’ai attrapé pendant les manœuvres en Caroline ? Ce n’était rien comparé à maintenant, j’ai été piqué de la tête aux pieds. Tout le monde était dans le même état. On reste là jusqu’à dimanche ou lundi, avant de poursuivre. Nous avons fait la «guerre» jour et nuit, dormant quand on pouvait. On est rentré au camp aujourd’hui, on était tous épuisés et affamés, mais avant toute chose, nous avons réclamé notre courrier. C’est moi qui avait le plus de lettres de toute la compagnie : neuf lettres de toi, deux colis et trois lettres de New-York. Dès que je me suis débarrassé de mon équipement, j’ai lu tes lettres. Chérie, merci pour le gâteau, le glaçage était magnifique et la noix de coco, excellente, j’en ai presque mangé la moitié sans m’en rendre compte. J’en ai donné un morceau à Angelini, il m’a dit que c’était le meilleur gâteau qu’il avait jamais mangé ; il n’en reste plus beaucoup. Remercie Fred pour les bougies, elles durent longtemps. Est-ce que Nicky Junior ne t’embête pas trop ? Je suis content que le docteur Scott vous voit tous les deux en bonne santé. Je suis impatient de vous serrer à nouveau dans mes bras. Je t’aimerai toujours. Nicky

12 juillet 1943. Tous les hommes autour de moi sont endormis Mon aimée, tôt hier matin, nous sommes partis avec tout le paquetage, nous avons marché jusqu’à 18h. Ensuite on a creusé nos trous individuels et des tranchées, puis nous avons dîné. Nous défendons une grande colline ; je ne pourrai pas t’écrire pendant un moment, je le ferai à la première occasion. Je pensai à Junior, il aura un bel avenir, il pourrait devenir Président des Etats-Unis, qu’en penses-tu ? Je viens de terminer mon dîner : jambon, carottes et pommes de terre, pain et beurre, de l’eau pour la boisson. Avec mon réchaud, je me suis fais chauffer une tasse de café en poudre. Tous les hommes autour de moi sont endormis. Il n’y a que la sentinelle et moi qui sommes encore éveillés, je m’assoupis en pensant à toi. J’ai dormis un peu, un vent froid s’est mis à souffler, «l’ennemi» est proche, on les entend tirer à environ 5 kilomètres. Ils vont bientôt nous tomber dessus, je dois partir.

13 juillet 1943. Ce matin, pas de petit déjeuner «L’ennemi» nous a attaqué la nuit dernière et a capturé notre cuisine. J’ai faim et je n’ai plus rien à manger dans mon sac. Je n’ai pas pu me raser et ma barbe a poussé ; je serai content de me rendre plus présentable, prendre un bain et porter des vêtements propres. Un avion nous a survolé et a largué un sac de farine… c’était une bombe factice. Ce matin, pas de petit déjeuner, «l’ennemi» est proche et le commandant de compagnie nous a dit d’être prêt à décamper.

Nichola Bonilla B Company14 juillet 1943. Nous avons attaqué un pont Quand on a levé le camp, hier, l’ennemi était sur nos traces. Ils nous ont pourchassés jusqu’à minuit, pendant tout ce temps nous n’avons rien mangé, ni bu une goutte d’eau. Nous sommes épuisés. Nous avons enfin pu nous étendre et dormir jusqu’à 6h, le petit déjeuner nous attendait. Nous avons attaqué un pont et combattu toute la journée ; nous l’avons pris et laissé sous la garde de quelques hommes. Puis nous avons gravi une haute colline et pris un peu de repos. «L’ennemi» a attaqué un village quelques kilomètres plus loin, nous sommes partis le défendre, nous les avons repoussés… On va se coucher. Nous nous sommes battus dans les environs de plusieurs villes : Hartsville, Bellwood, Lebanon, Carthage, Nashville et McMinniville ; est-ce que ces villes du Tennessee sont près de l’endroit où Maman a grandi ?

30 août 1943. j’ai écrit à ma mère pour lui demander un peu d’argent Opale chérie, la prochaine lettre que tu recevras pourras venir de n’importe où : Afrique, Sicile, Alaska, Norvège ou Grèce ; mais ne t’inquiète pas si tu n’as pas de nouvelles de moi, continue à m’écrire, et souviens-toi : pas de nouvelles, bonnes nouvelles. Chérie, je me fais tant de soucis avec Nicky Junior qui sera là dans quelques semaines, j’ai peur que tu manques d’argent. Je ne peux pas t’en envoyer car nous n’avons pas reçu la solde. L’Armée craint que si on nous donne l’argent pour un billet de train, nous ne désertions. J’ai pris mon courage à deux mains, j’ai écrit à ma mère pour lui demander un peu d’argent, elle ne m’a pas encore répondu. Je ne sais plus vers qui me tourner, dès que je serai payé je t’enverrai tout ce que je pourrais. Le First Sergeant vient d’entrer pour nous ordonner d’aller à l’infirmerie pour des piqûres. Je t’aime de tout mon cœur. Nicky

30 septembre 1943. Je ne suis plus aux Etats-Unis Opale chérie, c’est ma première occasion de t’écrire depuis que j’ai quitté le pays. Je sais que tu as attendu longtemps ma lettre, tu n’as plus de nouvelles de moi et je n’en ai plus de toi. Nous n’aurons pas de courrier avant notre arrivée. Nous avons été retardé ; tout ce que je peux te dire c’est que je ne suis plus aux Etats-Unis. Je brûle d’envie de savoir si je suis papa d’un garçon ou d’une fille. J’espère que ça ne sera pas trop long avant que je puisse te voir et le bébé. Je sais que la guerre ne durera plus bien longtemps. Je t’aime Nicky

Opal wearing her wings and Sandra

Opal wearing her wings and Sandra

Entre le 15 et le 20 octobre 1943. L’Angleterre est un pays verdoyant et luxuriant Opale chérie, enfin des nouvelles de toi, la première fois depuis que j’ai quitté les États-Unis. J’ai reçu ton télégramme et une vingtaine de lettres, je suis content d’apprendre que le bébé va bien et que tu es en bonne santé. Lorsque Sandra est née, je traversais l’océan Atlantique. J’ai été voir le délégué de la Croix-Rouge pour voir si je pouvais avoir de vos nouvelles ; il m’a dit qu’il ferait son possible et que nous étions 35 hommes dans la même situation sur le navire. Le télégramme du Docteur Scott est arrivé en Angleterre deux jours après son expédition, mais je ne l’ai eu qu’un mois plus tard à mon arrivée. Il ne distribuait pas de courrier sur le bateau, car notre destination était secret militaire. L’Angleterre est un pays verdoyant et luxuriant. Les moutons et le bétail paissent dans des pâtures séparées par des murets de pierre. Ça me rappelle des coins de chez moi, mais tout ce que je veux, c’est rentrer en Alabama retrouver ma femme et mon bébé. Est-tu contente que ce soit une fille, je sais que tu aurais préféré un garçon, mais je sentais que ce serait une fille, je l’avais parié avec les copains, j’ai gagné l’argent du pari. Envoie-moi une photo dès que tu peux, et une longue lettre de dix ou douze pages. Je t’aimerai toujours Nicky

6 novembre 1943. Le blackout est absolu Opale chérie, je ne t’ai pas écrit car nous étions sur le terrain et je ne suis rentré qu’hier. Aujourd’hui, on m’a accordé une permission de 48 heures, je n’avais qu’une demi-heure pour me préparer. J’ai lu les neuf lettres que tu m’avais envoyées, dans le train. Quand nous étions en manœuvres, nous traversions des forêts remplies de lapins et de faisans, on leur marchait presque dessus. Certains avaient envie d’en attraper quelques uns, mais on avait ordre de ne pas y toucher. Je me disais que j’aurais bien aimé me promener sur ces routes de campagne, avec toi et le bébé ; tu porterais une de mes robes préférées ; je serais en costume civil et le bébé ressemblerait à une petite poupée, marchant près de nous ou dans sa poussette. On passera beaucoup de temps dehors quand je rentrerai. Pendant ma permission, j’ai pris le train jusqu’à une petite station de bord de mer. Habituellement la Croix-Rouge tient des chambres à disposition des soldats, mais c’était complet, j’en ai pris une à l’hôtel. J’y suis resté deux jours, j’y ai pris tous mes repas ; cela ne m’a couté qu’une livre et 2 shillings, soit 4,40 dollars. Je cherchais des cadeaux de Noël, j’ai vu quelques objets intéressants, mais il fallait des tickets pour tout acheter, sauf pour l’alcool, la bière et les repas dans les restaurants. Alors je t’enverrai l’argent et tu achèteras des présents pour toi, Sandra et toute la famille. Ici, les bars s’appellent des pubs, et les serveuses servent les boissons. La bière est putride, chaude et fade, je ne peux en boire qu’une ou deux. Le scotch n’est pas mauvais, mais il n’en ont pas beaucoup à servir dans les pubs, premier arrivé, premier servi. Le blackout est absolu, tu peux passer dans la rue devant un cinéma ou un pub sans le savoir. Je t’aime, Nicky

25 janvier 1944. Je ne vois que du bonheur pour tous les trois Opale chérie, comment vous portez-vous, toi et le bébé ? Pendant que j’écris cette lettre, je regarde votre photo. La petite me manque, même si je ne l’ai jamais vue. Je n’ai pas reçu de lettre aujourd’hui, mais j’ai reçu les lames de rasoir. Chérie ! Je n’ai pas besoin de tant de lames de rasoir, j’en ai au moins pour six mois… Bonne nuit, chérie, je regarde l’avenir, et je ne vois que du bonheur pour tous les trois. A toi pour toujours. Nicky

2 février 1944. Le General Montgomery a visité notre campement  Opale chérie, je meurs d’envie de voir la petite. Quand je rentrerai, penses-tu que Sandra me reconnaitra ? Parle moi d’elle, est-ce qu’elle a encore les cheveux roux et les yeux bleus ? Est-ce qu’elle rie tout le temps ? Tu dis qu’elle n’aime pas l’eau, elle est comme son père et sa mère qui n’aiment pas l’eau non plus. Peut-être qu’elle préférait du whisky ou du rhum dans sa bouteille. Si l’une de vous deux est malade, même si ca a l’air bénin, allez tout de suite chez le docteur, je deviendrais fou s’il vous arrivait quelque chose. Aujourd’hui, j’ai rendu visite à Roger Gray, j’étais content de le voir. Il rentrait de deux semaines de mission spéciale. Je lui ai montré les photos de toi et Sandra, Mary et Dean (sa femme et son fils), tu sais quoi ? Il voulait garder mes photos, je lui ai dit qu’on ferait des copies. Tu les feras, chérie ? Le General Montgomery a visité notre campement et a parlé aux troupes ; il est assez doué pour les discours. Tu m’as demandé mon âge. Quand nous nous sommes mariés, j’avais 28 ans, aujourd’hui j’en ai 30. Je suis né le 7 janvier 1914. Madame Bonilla, je suis père, et bientôt le bébé m’appellera Papa, mais je ne suis pas vieux. j’ai un calendrier du Révérend Cantrell, et il m’envoie des brochures. Je t’ai expédié des journaux anglais et un livre, il y a une photo de moi dans le livre. Envoie moi un journal de Birmingham si tu en a l’occasion, j’aimerai avoir des nouvelles de là-bas. Merci pour les photos, Patricia a bien grandi. Si tu n’as pas de nouvelles de moi pendant un moment, souviens-toi : pas de nouvelles, bonnes nouvelles. Je désirerai t’emmener diner, danser, ou aller se promener. Je sais que tu te sens seule et que tu t’ennuies. Si tu as le cafard, prends la frimousse de Sandra entre tes mains, regarde dans ses yeux, et pense à moi. Peut-être qu’ensuite tu te sentiras moins seule. A toi pour toujours. Nicky

3 avril 1944. J’aimerai vous emmener toutes les deux en Angleterre Bonjour chérie, comment se porte le bébé ? Pleine de vie ? Je veux qu’elle soit une grande fille comme sa maman. Elle est déjà douce et jolie, comme sa maman. Je sais qu’en grandissant elle sera quelqu’un de bien. J’aimerai vous emmener toutes les deux en Angleterre. On irai voir Buckingham Palace, la tour de Londres et Big Ben. On monterait dans un autobus à impériale, on prendrait le train pour l’Ecosse. On irait en Irlande. On visiterait les villes et villages où les Keith ont vécu avant de partir aux Etats-Unis. On retrouverait de nombreux parents. Je t’aime. Nicky

30 mai 1944. Va à l’église et dis une prière pour les copains Opale chérie, je suis assis, en train de regarder un gars se faire raser le crâne, je me demande si je vais faire la même chose. Je n’aurais plus besoin de me peigner, et ce serait plus facile a entretenir. Je me demandais si je ne devais pas te renvoyer toutes les photographies, mais quand cela va mal, j’ai besoin de les regarder pour me remonter le moral. Si tu n’as pas de nouvelles pendant un moment, n’oublie pas que tu seras toujours dans mes pensées et dans mon cœur, où que je sois. Chérie, j’ai tant de choses à te dire, mais les mots me manquent. Je ne sais pas ce qui m’arrive, mes pensées s’éparpillent comme les pièces d’un puzzle. J’ai du mal à tout remettre dans l’ordre. Mais le plus important, c’est que je t’aime. Je t’aime plus que tout, je veux que tu le saches. Chérie, le premier dimanche après que tu auras reçu cette lettre, va à l’église et dis une prière pour les copains. A toi pour toujours. Nicky

Sandra baby7 juin 1944. J’évite de te parler de cette fichue guerre Opale chérie, juste ces quelques lignes pour te dire que tout va bien et que je suis en bonne santé. Et toi chérie, comment vas-tu, est-ce que tu as perdu du poids, es-tu toujours aussi jolie ? Chérie, aujourd’hui, il a fait beau, avec du soleil presque toute la journée ; il fait chaud, et on dirait que cela va durer. Chérie, je ne sais pas si tu l’as remarqué, mais j’évite de te parler de cette fichue guerre. Je ne pense pas que tu veuilles en savoir plus que ce que tu lis dans les journaux, et je n’ai envie d’en parler à personne. Je t’envoie quelques photos et articles pour l’album, il doit commencer a être épais maintenant, car nous l’avons commencé il y a un an et demi. Chérie, s’il m’arrive de t’écrire sans te dire que je t’aime et que tu me manques, te t’inquiètes pas. Tu me manqueras toujours quand je serais loin de toi. Je regarde la photo de Sandra au moins quatre ou cinq fois par jour, et quand je la regarde, je te vois aussi. Je me demande si Sandra me reconnaitra quand je rentrerai. Je te souhaite une bonne nuit jusqu’à ce que je t’écrive une nouvelle lettre demain, transmets ma profonde affection à toute la famille. A toi pour toujours. Nicky

17 juin 1944.  J’ai rencontré pas mal d’Allemands Ma chérie, j’espère que tu es en bonne santé, pour moi ça va. Je peux enfin te dire où je suis : en France. J’ai rencontré pas mal d’Allemands. La France est un pays magnifique, avec des vignobles et des vergers qui bordent les routes. Avec le bétail en pâture dans les champs environnants, nous pouvons acheter tout le lait, le beurre et la viande dont nous avons besoin. Avec cette bonne alimentation, je reprends du poids. Je n’ai pas encore reçu mon courrier, mais cela ne devrait pas tarder. Comment va le bébé ? Est-ce que Sandra a grandi ? Est-ce qu’elle commence à parler ? Je vous aime toutes les deux. Je t’écrirai une autre lettre dès que je pourrai. Avec tout mon amour. Nicky

25 juin 1944. Tous les hommes du régiment ont été décorés d’une citation du Président Opale chérie, j’ai enfin l’occasion de t’écrire, j’en profite. Je suis en pleine forme, j’espère que toi, le bébé et toute la famille êtes en bonne santé. Aujourd’hui, j’ai reçu le premier courrier depuis que j’ai été parachuté en Normandie. Tes lettres étaient datées du 3, 4, 5, 6 et 8 juin, j’étais très heureux d’avoir enfin de vos nouvelles. Chérie, les parachutistes ont fait du bon travail depuis que l’on est arrivés en Normandie. En fait, tous les hommes du régiment ont été décorés d’une citation du Président pour leur action courageuse, est-ce que ce n’est pas magnifique ? Opale, sur le front, nous ne recevons que les lettres ; on nous distribuera les colis et les journaux quand nous serons au repos à l’arrière. Vous me manquez, toi et la petite. Je regarde vos photos souvent. Quand je rentrerai aux États-Unis, je crois que je tomberai amoureux de toi une nouvelle fois. Bonne nuit, j’espère que je pourrais t’écrire encore, demain. Mon amour éternel. A toi pour toujours. Nicky

26 juin 1944. Peut-être que je rentrerai pour Noël… Opale chérie.Cette nuit, il tombe une petite pluie fine et drue qui nous gâche la vie, même si je suis a l’abri dans un bâtiment. Je suis de garde dans un poste avancé pendant 2 heures, suivi de 4 heures de repos. Mais je manque de sommeil ; pendant le temps de repos il faut manger, se laver, nettoyer son arme, et tout un tas d’autres choses… J’aimerais te parler de la France et de ce que je vis, mais ma lettre serait censurée. Je crois qu’il faudra que tu attendes mon retour, ensuite je te raconterai. Je suis en bonne santé, et j’attends une promotion. J’espère que le bébé et toi vous vous portez bien. Je suis impatient de vous voir. Peut-être que je rentrerai pour Noël, est-ce que cela ne serait pas un merveilleux cadeau pour nous tous ? A toi pour toujours. Nicky

30 juin 1944.  Je suis assis dans mon trou individuel. Opale chérie. Pendant que je t’écris, mes pensées vont vers toi. Si je te manque autant que tu me manques, alors c’est terrible. Aujourd’hui, j’ai reçu cinq lettres de toi ; j’attends toujours la distribution du courrier avec impatience. Chérie, je suis heureux d’apprendre que la petite fait des progrès, et qu’elle est aussi sage qu’une image. Je pense souvent à ce que je ferai quand je la verrai pour la première fois. Maintenant tu dois être au courant de ce qui se passe ici, si cela continue comme çà, je devrai être de retour dans peu de temps. Chérie, ne t’inquiète pas pour moi, tout ira bien. Je n’ai pas encore pu reprendre contact avec Roger ; en réalité, je n’ai jamais été dans le même secteur que lui, son bataillon était toujours ailleurs ; mais j’espère pouvoir le revoir bientôt. Pour des raisons de sécurité, aucun courrier n’est parti d’Angleterre du 10 mai au 6 juin. Je suis triste que James n’aille pas bien, j’espère qu’il y aura une place à l’hôpital pour lui. Je suis content que tu ais reçu les photos, même si elles ne sont pas très bonnes. Les taches sur la lettre sont faites par la pluie ; je suis assis dans mon trou individuel, les gouttes passent à travers la toile de tente qui le recouvre. Si Fred se plait dans la Marine, c’est très bien ; écris-lui autant que possible. Un garçon sous les drapeaux est toujours impatient d’avoir des nouvelles de ceux qu’il aime. Tu m’as dit que Fred t’avais demandé des sucreries, pour ma part, je préférerais quelques boites de poivre vert, du piment, du salami et du fromage, tu connais mes goûts. Dis à Lama que, quand je la verrai, je l’embrasserai comme la première fois que je l’ai vue chez Madame Whitten, même si son mari nous regarde. Tu as pris des photos avec Mary Dean, j’espère que tu m’en enverras quelques unes. As-tu été voir le film «Cover Girl» ? Cela fait longtemps que je n’ai pas été au cinéma. Tu m’as dis que tu avais croisé trois parachutistes en ville, j’espère que ma chérie n’a d’yeux que pour un seul, comme dirait Li’l Abner : «à savoir : moi». Dis à Sandra que je l’embrasse pour la gentille carte de fête des Pères. Ses nouvelles chaussures marrons ne lui vont pas très bien, non ? Je t’avais dis que chez les Bonilla, nous portions mal le marron. Je porte une grosse moustache, j’essaierai de t’envoyer une photo. Chérie, la Croix-Rouge fait du très bon travail en Angleterre. Bonne nuit, chérie, attends ma prochaine lettre. Transmets tous mes sentiments à la famille. Ton mari, Nicky

General Eisenhower speaks to paratroopers before D-Day1er juillet 1944. Le General Eisenhower s’est adressé à moi. Opale chérie. J’ai reçu tes lettres datées du 10 et 12 juin, j’étais fou de joie. Je suis tellement triste d’être loin de toi. J’aimerai que cette guerre se termine pour rentrer chez nous, et vous retrouver toi et la petite. Comment va-t-elle, est ce que tu ne trouves pas qu’elle te ressemble plus qu’à moi ? Tu sais que j’aimerai qu’elle soit rousse comme toi. Je n’ai pas encore reçu le portrait de Sandra, je l’aurai quand je retournerai à l’arrière. Dis-moi chérie, est-ce que tu achètes tes obligations de guerre chaque mois, et est-ce que tu reçois bien l’allocation familiale ? Aujourd’hui, il ne fait pas beau, il a plu toute la journée, mais j’arrive toujours à dénicher un coin sec. Je t’écris dans mon trou, il fait 1,80 de long, 0,90 m de profondeur et 1,20 de large. Il y a une toile de tente au dessus, les côtés sont recouverts de couvertures prises aux Allemands ; avec de la paille et une couverture au fond, en plus on a trois couvertures par dessus nous, on y dort à deux. Maintenant, je serai obligé de t’écrirai au crayon ; il n’y a plus d’encre en France, si tu as du mal à me lire, c’est la faute aux Allemands, ils ont emportés toute l’encre en partant. Chérie, juste avant d’embarquer, le Jour-J, le General Eisenhower s’est adressé à moi, il m’a posé quelques questions ; des photos ont été prises, il pourrait y en avoir une dans les journaux ou aux actualités. Peut-être que tu ne me reconnaitras pas, car nous avions le visage camouflé, mais si tu regardes bien, tu me verras. Chérie, je te souhaite une bonne nuit. J’embrasse toute la famille, et souviens-toi que je t’adore et que je t’aimerai toute ma vie. Bonne nuit. Nicky

2 juillet 1944. Vous me manquez tant, toutes les deux. Opale chérie. Aujourd’hui, nous avions de l’occupation, c’était mon premier repos depuis longtemps ; je crois que je vais m’asseoir et t’écrire avant que la nuit tombe, c’est trop dangereux d’écrire à la bougie. Chérie, je suis en pleine forme, j’espère que toi aussi. Cela a encore été une journée pluvieuse, j’espère que cela cessera demain. J’ai reçu trois lettres par avion, un V-mail, quatre journaux, le portrait de Sandra et ses chaussons de bébé. Qu’elle est belle. Quand tu recevras cette lettre, je serai à l’arrière, je pourrai prendre un bain et me raser tous les jours, et reprendre figure humaine. Vous me manquez tant, toutes les deux. Je vous aimerai toujours, aussi loin que je puisse être, et aussi longtemps que cela durera. Bonne nuit Chérie, à demain. J’essaierai de t’écrire très vite. J’embrasse toute la famille. À toi pour toujours. Nicky

Nicky in uniform with new campaign medals (in England after D-Day)

Nicky in uniform with new campaign medals (in England after D-Day)

23 juillet 1944.  J’ai vu Danny Kaye dans «Up in arms». Bonjour ma chérie. Quand tu as reçu le télégramme où je te demandais de l’argent, tu savais que j’étais en Angleterre. Je rentrais de permission, j’avais reçu 13 lettres de toi, deux de ma mère, et une de Farris. Je viens de recevoir le mandat que tu as envoyé, ça m’a fait plaisir. J’avais emprunté de l’argent, maintenant je peux le rembourser. J’ai reçu ton colis ; le salami n’était plus bon, contrairement au fromage. J’irai chercher quelques sardines quand j’aurai fini ta lettre. Pendant ma permission, j’ai visité la Croix-Rouge pour avoir des renseignements sur Roger Gray. Il a été blessé, mais il sera sorti de l’hôpital d’ici quelques jours. Je suis sûr que Mary Dean connait déjà la bonne nouvelle. Apres avoir pris des nouvelles de Richard, j’ai pris le train pour l’Écosse ; je suis arrivé vers minuit, j’ai trouvé une chambre à l’hôtel. Je me suis réveillé le lendemain à midi, j’ai déjeuné, je me suis habillé et je suis allé au cinéma. J’ai vu Danny Kaye dans «Up in arms», chérie, c’est le film le plus drôle que j’ai vu depuis longtemps, c’était à hurler de rire. Je suis allé dans une taverne, j’ai bu un scotch, j’ai mangé un steak et même bu une tasse de thé. Je suis rentré à l’hôtel, j’ai passé deux heures au hammam. Puis je me suis couché ; mais chérie, je n’arrivais pas à m’endormir, la petite et toi vous me manquiez trop, je n’arrêtais pas de me retourner dans mon lit. J’ai acheté une bouteille de scotch, j’ai bu jusqu’à ce que je m’endorme. Je me suis levé le lendemain avec un terrible mal de crâne. Tu sais, j’ai deux jolies filles en tête à chaque instant, je les aime tant, j’ai le droit, c’est ma femme et ma fille! Sandra, nous avons passé un bon moment ensemble, nous avons même été à la pêche. Vous m’accompagnez en pensées, maintenant et pour toujours. Je vais terminer ma lettre avant le crépuscule. Dis à Sandra que son papa rentrera bientôt à la maison. A toi pour toujours. Nicky

28 juillet 1944.  Je prie pour que la guerre finisse vite. Nicky chéri. Bonsoir, comment va tu ce soir, j’espère très fort que tu vas bien. Moi, ça va, Sandra aussi, je viens de la mettre au lit. Elle ne voulait pas aller se coucher ce soir, elle aurait pu jouer toute la nuit si je l’avais laissée. Cet après-midi, nous avons rendu visite à Mary Dean. Elle a reçu un télégramme de Roger, elle était très heureuse d’avoir de ses nouvelles. Elle était inquiète pour lui ces derniers temps. Chéri, j’attends ton courrier, j’espère que j’aurais une lettre demain. Je t’aime tant. Je pense à toi tout le temps. Je prie pour que la guerre finisse vite, afin que tu puisse rentrer chez nous. Tout le monde va bien ici. Ils t’envoient toute leur affection. Prends bien soi de toi, et écris moi très souvent. Je t’aime, Opale.