Juillet 1944, le long exode sur les routes de l’Orne
En juin 1940, il guettait les Allemands par la route de Caen, ils sont arrivés par la Bretagne ; en juin 1944, il attendait les Anglais encore par le nord, et ils sont arrivés par l’ouest. Mais Pierre Queruel n’était plus là, chassé de Villers-Bocage avec sa famille par les terribles bombardements alliés, puis évacués sur ordre des Allemands… Tous les droits de l’auteur des textes et des photographies sont réservés. Toute reproduction ou utilisation des œuvres, autre que privée ou à fin de consultation individuelle sont interdites, sauf autorisation. (English version, click on the flag)
La défaite et l’occupation On savait qu’ils allaient arriver quand on a vu les raffineries du Havre brûler, on voyait la colonne de fumée depuis Villers-Bocage. On les attendait par la route de Caen, et ils sont arrivé par le bas du bourg, par la Bretagne, ils avaient encerclé la Normandie. Avant, on avait vu descendre les Belges, les Anglais, puis les Français, tout le monde se sauvait. J’ai un oncle qui venait des Ardennes, son capitaine lui a dit : «vous n’habitez pas loin d’ici, rentrez chez vous ! », il habitait près de Vire, il est resté à la maison, il n’a pas été fait prisonnier. Les Allemands étaient bien habillés, impeccables, disciplinés, ils marchaient au pas en rangs, ils chantaient « Heili, heilo ! », ils avaient beaucoup de matériel, c’était autre chose que l’armée française. Ils ont occupé l’école, les douches, les bâtiments publics… La troupe logeait dans les bâtiments publics, et les officiers chez l’habitant. Des officiers allemands sont venus visiter les maisons avec le maire. Nous avions une maison avec deux étages, au premier c’était nos chambres, le deuxième servait de grenier de réserve, ça n’était pas assez bien pour eux ils n’ont pas voulu loger chez nous. A côté il y avait un agent d’assurance, ils ont logé un officier, la bonne cirait les bottes. Le maire et les instituteurs ont cherché d’autres locaux pour l’école, comme la maison de retraite, la salle de mariage à la mairie, le dispensaire… On était dispersé. J’étais en fin d’études, le maire a proposé de s’installer dans la salle paroissiale du curé ; quand on est arrivé le maître a voulu faire enlever le crucifix, le curé a refusé, on est parti ailleurs. Les Allemands avaient une discipline de fer. Sur la place, dans la halle aux Rats, il y avait un régiment d’artillerie, ils sortaient les canons tous les jours pour les nettoyer. On était toujours à traîner autour d’eux. Mes parents n’étaient pas germanophiles. On écoutait la radio, c’était interdit et les postes ont été ramassés en 1943. Les gens montaient des postes à galène, ils branchaient ça sur le téléphone. Mon père était épicier, ma mère tenait le magasin ; mon père travaillait à côté, il faisait du charbon de bois pour les gazogènes, les camions roulaient au gazogène. Mais pendant la guerre l’épicerie, c’était moyen. Il travaillait pour un négociant en charbon de bois ; il avait avec lui deux jeunes gens qui étaient requis pour travailler en Allemagne, et qui se cachaient. Sur la place, il y avait une grande statue de Richard Lenoir, l’entreprise Todt est venue enlever la statue, il récupérait le bronze pour faire des canons, un employé a eu la main écrasée par la statue. Les résistants ont fait sauter un train de permissionnaires allemands entre Lisieux et Caen à deux reprises, à partir de ce moment, il a fallu monter la garde sur les voies ferrées. Tous les hommes des pays ont été réquisitionnés à tour de rôle pour garder les voies entre Cherbourg et Paris. Tous les soirs, vers sept ou huit heures un camion ramassait les hommes dans les communes, à tour de rôle, sans armes sous la direction des Allemands. Ils emmenaient du calva, et ils revenaient tous « pompettes ». Il y avait quelques résistants dans le canton, six ou sept. À la gare, il y avait un chef de gare français et un chef de gare allemand, une secrétaire de mairie française et une secrétaire allemande, la gendarmerie française et la gendarmerie allemande, tout était doublé. Un jour, l’officier allemand, qui travaillait avec elle, dit à la secrétaire de mairie française : « Madame Marguerite, je quitte Villers-Bocage, et je vous avertis que mon remplaçant ne sera peut-être pas aussi gentil que moi ! », c’était pour lui faire comprendre de se méfier ; il avait du s’apercevoir qu’elle donnait des tickets aux résistants. Elle a fini par se faire arrêter et elle a été déportée en camp de concentration.
Résistance, déportation, arrestations Dans notre pays, on l’a su après, l’agent d’assurance, un marchand de grain, le secrétaire de mairie, le châtelain, et l’électricien faisaient partie du réseau de résistance. On pensait même que l’électricien était un collaborateur, vu qu’il était toujours fourré avec les Allemands, qui l’ont fusillé après. On se méfiait de tout le monde. Un jour, j’ai fait une chose, j’ai volé la paye d’un soldat allemand. Les Allemands avaient quartier libre à cinq heures du soir, ils venaient à l’épicerie, je les ai vus plusieurs fois. Une fois, je me baladais dans le bourg avec un copain, on voit trois ou quatre Allemands sortir d’un magasin, on les suit et à un moment l’un d’eux fouille ses poches et quelque chose tombe ; il avait perdu sa solde en monnaie d’occupation allemande. On l’a ramassée, on s’est acheté des bonbons, des pétards à bouchon, et un furet pour aller à la chasse. On allait en campagne et on rattrapait des lapins. On a même été chasser dans les bois du château, le garde chasse nous avait vu avec ses jumelles, et on a juste eu le temps de ramasser le furet et de se sauver. Mes parents n’ont rien su, mon copain avait une petite ferme et l’on mettait le furet dans un clapier près des lapins. Il y avait des restrictions, en campagne on avait le beurre, le fromage, le pain plus facilement, des propriétaires abattaient des animaux, on donnait nos lapins aux petites grandes mères qui n’avaient rien. Sur la place, il y avait de grosses charrettes pour transporter le grain – des charrettes à gerbe avec de grandes roues. On en avait transformé une en char d’assaut. On l’avait habillé avec des branches et des fils de fer, et on avait installé un gros tuyau de poêle pour le canon. J’ai acheté des pétards à corbeau, on les mettait dans le tuyau et on allumait la mèche, c’était la « petite guerre », les Allemands rigolaient. Au château de Villers logeaient des pilotes qui partaient bombarder l’Angleterre à partir de l’aérodrome de Carpiquet. Ils avaient leurs chauffeurs, quand ils revenaient de mission, ils passaient au-dessus de Villers et les chauffeurs partaient aussitôt les chercher à Caen. Une fois un avion allemand a été pourchassé par un Anglais et s’est écrasé derrière le château, on a été voir, on a vu les cadavres des pilotes allemands accrochés dans les arbres. En 1943, on voyait passer les forteresses volantes qui partaient bombarder l’Allemagne. Une fois, une forteresse en difficulté au retour d’une mission a atterri sur le ventre entre Villers et Amayé, les Allemands sont arrivés aussitôt, mais la résistance a eu le temps de récupérer les treize aviateurs et les a cachés dans une ferme. Ils voulaient passer en Espagne. Le gars qui les a ramassés a fini fusillé. Les Allemands ont démonté la forteresse en morceaux et l’ont embarqué a la gare de Villers sur des wagons, nous on y était et ils voulaient nous faire croire que c’était un avion allemand. Le châtelain, qui avait hébergé les aviateurs a été arrêté par la gestapo, son jardinier les a vus arriver en traction noire, il l’a prévenu mais le châtelain ne l’a pas écouté et a été emmené, on ne l’a jamais revu. Notre électricien de Villers qui faisait de la résistance faisait transporter les messages à Bayeux par son apprenti, un gamin, les messages étaient cachés dans le guidon du vélo, une fois il a même transporté un poste émetteur d’une ferme à l’autre sans le savoir. En 1943 un matin, la Gestapo et des Français ont arrêté six résistants, ils ont été fusillés à la prison de Caen au moment du Débarquement, les corps n’ont jamais été retrouvés. Il y avait une gare importante à Villers-Bocage, et un important marché aux bestiaux. ; une ville avec environ 1500 habitants, Tous les mercredis, un ou deux trains partaient pour les abattoirs de La Villette à Paris, les Allemands se servaient sur les quais, ils embarquaient leurs matériels et partaient pour le front russe. On allait assister à tout ça. Ils n’aimaient pas les Russes – russki -, leurs copines françaises venaient les voir à l’entrée de la gare. Je n’en ai pas vu, mais je crois qu’une ou deux ont été tondues à la Libération. Mais beaucoup sont parties au moment du Débarquement et ne sont jamais revenues.
Mardi 6 juin 1944, c’est le Débarquement, nous attendions l’arrivée des Anglais C’était une journée apparemment normale, sauf un bruit lointain qui nous avait réveillé vers six heures du matin, comme un roulement de tonnerre continu. Dans les jours précédents, on avait vu voler beaucoup d’avions anglais. Mais il n’y avait plus d’Allemand à Villers-Bocage. Un dimanche, ils étaient venus mitrailler notre château d’eau, ils l’avaient transformé en écumoire, l’eau coulait de partout, pour rien, les Allemands étaient ailleurs. Au château des Clermont-Tonnerre, il y avait des ingénieurs allemands en pension, ils étudiaient le terrain pour installer des bases de V1 et de V2. Au moment du Débarque-ment, ils étaient encore à Villers-Bocage, mais ils sont partis le matin même. Le châtelain m’a raconté qu’avant de partir il leur avait dit adieu, mais eux ont répondu : « détrompez vous Monsieur, au revoir, nous reviendrons, avec nos fusées nous allons gagner la guerre ! ». On s’est levé comme d’habitude pour prendre le petit déjeuner et on est parti à l’école pour neuf heures. J’avais passé mon certificat d’étude huit jours auparavant. L’école se trouvait place de la mairie dans l’hôtel de ville depuis 1940 ; les bâtiments scolaires entre la route de Vire et la route d’Aunay-sur-Odon étaient occupés par l’armée allemande. Sur le chemin tout était calme, avec toujours le bruit de la canonnade, à l’hôtel de ville notre classe de fin d’études garçons occupait la salle de mariage. Il y avait beaucoup d’effervescence à l’école, on parlait d’un débarquement sur la côte ; notre maître, monsieur Lerebourg, nous a rassemblé au bas de l’escalier pour la rentrée dans la classe, qui se trouvait au premier étage. Il a tenté de nous expliquer les événements en rapport avec ce roulement lointain vers la côte, et décidé de nous renvoyer chez nous ; quelques élèves ont demandé si on pouvait récupérer nos cartables restés en classe, le maître a refusé, nous signalant que d’ici quelques jours tout allait revenir à la normale. Hélas, plus tard j’ai regretté, parce que tous nos cartables ont brûlé avec l’hôtel de ville ; le mien, mon père me l’avait offert pour mon certificat d’études. Donc, retour à la maison. Dans la rue principale, toujours le calme, sans aucune activité militaire, heureux de ne pas avoir d’école mais tout de même un peu inquiet. Dans la matinée, avec le copain Paul Boutrois nous sommes allé aux nouvelles chez Monsieur Pottier, ancien marchand de croissants. Monsieur Pottier habitait à l’angle droit de la route d’Epinay face à l‘hôtel du Vieux puits qui correspond à l’heure actuelle au café de la Liberté, c’était place Richard Lenoir où nous habitions également. Le Débarquement était confirmé, nous attendions l’arrivée des Anglais, regardant vers le haut du bourg. Dans la matinée les chasseurs bombardiers ont surgi à basse altitude, l’un d’eux est passé très bas au dessus de nos têtes. Nous étions place Richard Lenoir, l’avion se dirigeait vers Villy-Bocage, nous, gamins, avions l’impression qu’il allait atterrir quelque part dans cette direction. Aussitôt, avec mon copain Paul, nous avons pris la direction de Villy. Pas d’avion en vue, nous avons poussé jusqu’à Fains mais nous sommes restés bredouilles, sans avoir rencontré ni Anglais, ni Allemand. Sagement nous sommes revenu à Villers auprès des parents inquiets. La fin d’après midi a été calme, le père est rentré de son travail à Saint-Louet-sur-Seulles. Il travaillait à la démolition d’une vielle maison pour récupérer les pierres (elle est toujours à l’heure actuelle en l’état du 6 juin 1944). Le père Queruel travaillait à la journée chez les particuliers pour des petits boulots : casser le bois, du jardinage, du batelage, et brûlage de charbon de bois… Maman tenait le magasin dans la journée. Et toujours ce grondement venant de la mer. Les parents, assez inquiets, nous faisaient des recommandations, nous étions trois enfants, une fille et deux garçons.
Mercredi 7 juin, les bombes sur Villers Le mercredi matin, pas d’école. Nous avons pris le petit déjeuner tous ensemble. Papa est reparti au travail chez monsieur Lerebourg, mon instituteur expulsé de l’école habitait rue Jeanne Bacon dans un pavillon. Dans la matinée, je suis reparti aux nouvelles chez les Pottier, de l‘angle de leur maison on avait vue sur la grande rue en enfilade, aussi bien vers Caen que vers Vire ; nous attendions toujours les Anglais par le haut du bourg. Beaucoup de rumeurs circulaient et toujours pas d’Anglais. Pendant ce temps, mon petit frère André était resté à la maison assis auprès de la cuisinière, tremblant de peur. Il y avait très peu de clients au magasin, le marché du mercredi n’ayant pas eu lieu. En début d’après midi, des soldats allemands remontaient vers le haut du bourg en file indienne, tous recouverts de branchages. L’après midi, je me trouvais dans notre cour derrière la maison, pour la première fois j’aperçus deux avions qui lâchaient des bombes, instinctivement j’avais courbé l’échine et enveloppe ma tête de mes deux bras et j’étais rentré à la maison en criant ; quelques secondes après, plusieurs explosions, ce fut un bruit effrayant. Les bombes lâchées au dessus de la maison explosaient sur la gare, à huit cent mètres de la maison, quelle frousse ! Peu de temps après le père était rentré de sa corvée de jardinage ; chez Monsieur Lerebourg tout le monde était inquiet. Le soir, vers cinq heures, ce fut l’apparition des premiers blindés allemands, venant du bas du bourg et remontant la rue principale jusqu’au niveau de la halle aux grains. Ils ont traversé la place Richard Lenoir, et sont passé juste devant notre magasin, ils ont filé vers la route de Saint-Louet-sur-Seulles. Du mercredi 7 juin au samedi 10 juin nous avons eu droit à ces convois en route vers le front. Le soir, on a dîné en famille, papa parlait de faire des réserves d’eau potable et de préparer quelques paquets, sur les conseils de Monsieur Lerebourg ; il avait du en être question pendant le jardinage.
Jeudi 8 juin, les blessés allemands Toujours le bruit de canon en direction de la mer. Papa était resté à la maison ; le petit frère était toujours mort de peur. Dans la matinée avec le copain Paul, nous avons repris notre faction chez Monsieur Pottier, des gens charmants. Après les nouvelles, vraies ou fausses – « les Anglais sont à Tilly ! » – nous étions allé à la gare constater les dégâts. La gare elle-même n’avait subi aucun dommage, nous avions avancé vers les quais d’embarquement direction Aunay-sur-Odon. Juste après la grue, la voie ferrée était détruite, les rails en tire bouchon et des trous de bombes sur le ballast. On avait vu passer des troupes allemandes à pied et en bicyclette, qui montaient au front, vers Bayeux, avec des feuillages pour se camoufler. Puis on avait vu des véhicules chenillés, ils sortaient à partir de cinq heures du soir, et ils roulaient toute la nuit pour être tranquille. Au début de l’après midi, je me trouvais sur la place Richard Lenoir quand une auto mitrailleuse allemande avait descendu le bourg et s’était arrêté à notre niveau, ils nous avaient demandé où se trouvait l’hôpital, l’officier était très nerveux, nous étions un peu gêné pour répondre, car Villers n’avait pas d’hôpital, je ne savais pas qu’au château des Clermont Tonnerre les Allemands avaient installé un hôpital depuis le 6 juin ; il y avait des moines chirurgiens et infirmiers, qui s’étaient engagés mais ne voulaient pas combattre ; l’hôpital était resté là presque un mois. Nous les avions envoyé à l’infirmerie de l’hospice ; l’officier nous avait demandé de monter pour leur montrer le chemin, c’était tout près. Nous avons assisté au transfert de deux blessés, dont un avec une plaie béante à la cuisse. C’était les premiers blessés que je voyais, je n’en demandais pas d’autres, j’étais rentré à la maison aussitôt. Dans le magasin, papa avait ramené l’ancien triporteur du garage au cas où il faudrait partir. Le soir, nouveau passage des convois allemands en direction de Saint-Louet.
Vendredi 9 juin, un carnage chez les Allemands Ce jour là, l’activité allemande était plus intense, des troupes à pied, en vélo, et toujours le bruit du canon. Mais ce fut une journée sans histoire. En fin d’après midi un convoi de chariots à quatre roues, tirés par des chevaux était passé devant le magasin venant de la route de Saint-Louet ; ils avaient traversé la place Richard Lenoir et descendaient la grand rue en direction d’Aunay-sur-Odon. Il y avait une grande boulangerie allemande pour le secteur dans le château de Villy Bocage, ils avaient dû recevoir l’ordre d’évacuer et de se replier vers l’arrière. Au passage, les soldats nous faisaient un signe de la main en nous disant « guerre finie ! » Le convoi était assez important. Peut être une demi heure après ce passage, des soldats allemands, installés sur le grand trottoir en face du café Vignot, avaient tiré au fusil mitrailleur, sans l’atteindre, sur un avion qui passait et se dirigeait vers la mer. Un moment après, nous avons entendu un bruit de mitraillage vers le sud, les avions avaient repéré le convoi hippomobile sur la route d’Aunay, ça avait été un vrai carnage, les chevaux affolés et blessés avaient remonté le bourg au triple galop, traînant derrière eux ce qui restait des chariots; le far West en débandade, les chevaux étaient repartis vers Villy. Une soirée inoubliable. Les Français avaient été requis pour enterrer ce qui restait, sur place. On se demandait comment ça allait finir, certains pensaient que les Anglais serait là en deux jours, il n’y avait qu’une vingtaine de kilomètres jusqu’à la côte ; le grand hôtel de Villers-Bocage avait même sorti le drapeau anglais le mercredi matin, ils l’avaient rentré en vitesse.
Samedi 10 juin, nouveau bombardement sur Villers , on décide de partir On sentait que le front se rapprochait, la vie du pays était complètement arrêtée, tout le monde restait chez soi et s’occupait des taches journalières. Chez nous, les préparatifs de chargement du triporteur étaient presque terminés (linge de change, café, sucre, draps). J’allais toujours aux nouvelles chez Pottier. Le samedi après midi, vers dix huit heures, la table pour le souper était servie, comme tous les soirs j’avais été chercher le lait chez Monsieur Baucher, un épicier sur la route de Caen au carrefour de la rue du marché. Maman mavait demandé d’aller chercher du cidre chez Monsieur Vignot, un cafetier sur la route de Saint-Louet. Au moment où j’arrivais à la porte de notre magasin pour sortir dans la rue, avec mes quatre litres dans un panier métallique, une violente déflagration s’était produit, aussitôt j’avais fais demi tour et j’étais revenu dans la cuisine, de nouvelles déflagrations et j’avais vu les carreaux voler en éclats ; j’avais vu la vaisselle sur la table, balayée comme un fétu de paille. Je m’étais réfugié dans la cage d’escalier, maman avec mon petit frère s’étaient abrités derrière un mur, mon père avec ma sœur a un autre endroit derrière un autre mur. Enfin les déflagrations s’étaient arrêtées. Une désolation, de la poussière, nous avions inspecté la maison, le rez-de-chaussée, puis les étages, plus de fenêtre et des pierres partout. Dans la rue les gens commençaient à sortir. J’entendais un homme sur la place, qui criait en demandant des pelles et des pioches. Avec papa nous nous étions dirigé vers le sinistre, c’était juste derrière chez nous sur la route de Saint-Louet, actuellement au niveau de chez Monsieur Meuriot. La route était coupée par un énorme entonnoir de bombe. La maison de Monsieur Even, tout près, était détruite ; les enfants Even, cachés dessous les tonneaux dans leur cellier étaient indemnes. On avait demandé des pelles et des pioches pour les dégager. Il y avait une Volkswagen allemande, avec des officiers, qui s’était abritée sous un marron-nier, l’arbre avait été haché par les éclats, eux étaient sortis de la voiture couverts de poussière mais indemnes. Les Allemands étaient venus reboucher la route, c’était un passage pour les colonnes pour aller sur Juvigny-sur-Seulles et Tilly-sur-Seulles. Après quelques instants sur place, nous étions revenu à la maison retrouver maman, mon frère et ma sœur. Papa avait décidé de partir et de quitter Villers pour se réfugier en campagne le soir même. Nous avions prévu un point de chute au village de Gournay, à Villy-Bocage chez des amis. La route de Saint-Louet était coupée et impraticable, papa avait décidé de se rendre à Anctoville, au village du Biéville chez d’autres amis. Vers huit heures, avec le triporteur, nous étions partis, on avait emmené Madame Hardy dont le mari était prisonnier en Allemagne. Une autre voisine – Madame veuve Huet – était en pleurs, elle était désolée de rester toute seule, à cause de son âge elle ne pouvait pas se déplacer ; pourtant nous l’aimions bien cette grand mère. Elle fut accueillie au château de Villers, où il y avait la Croix-Rouge. Nous avons évacué par la rue Saint-Martin, une rue parallèle à la route nationale qui descendait le bourg, direction Anctoville via le moulin de Villers. Nous avons rencontré notre docteur, tout surpris de nous voir quitter Villers. Nous sommes passé au Haut de Saint-Louet, un peu plus loin sur la droite du plateau, des tracts descendaient du ciel lâchés par un avion. Les tracts conseillaient aux gens des localités de quitter leurs maisons pour se réfugier en campagne, signes de bombardements futurs. En soirée, nous étions arrivé chez nos amis qui nous avaient accueilli dans leur maison au Biéville. Après le repas, des matelas avaient été installés dans la cuisine qui était assez grande, c’était la première nuit d’évacuation, et quelle nuit, au matin des salves de coups de canon avaient retenti, tout près de la maison où nous étions , une batterie alle-mande s’était installée.
Dimanche 11 juin, première étape Premier dimanche hors de la maison en évacuation, quel changement, il avait fallu s’organiser pour les repas. Dans la matinée, papa était retourné à Villers, la veille dans la préci-pitation nous avions oublié de vider le tiroir caisse de l’épicerie, ainsi que les bijoux, il était revenu avec sa bicyclette. Les gens qui nous accueillaient étaient charmants, madame Eugénie et monsieur Albert Letouzet, pour nous c’est Eugénie et Albert. Albert n’avait peur de rien, il était dans les corps francs en 1940, il s’était évadé à pied depuis la Belgique jusqu’en Normandie. C’était un copain de travail à papa ; le village du Biéville était animé d’une dizaine de foyers, dont monsieur Lejardinier cultivateur qui était maire de la commune d’Anctoville.
Lundi 12 juin, les Anglais ! Toujours le bruit du canon au loin, les hommes avaient creusé une tranchée de quatre à cinq mètres de long pour servir d’abri ; elle était assez profonde et fut recouverte de fagots avec de la terre par-dessus. L’abri se trouvait au bout de la maison dans un petit plan de pommiers. Dans le village, c’était assez calme à part des tirs d’obus qui déchiraient l’air au dessus de nos têtes. Les Allemands envoyaient quelques salves, les Anglais répondaient en doublant et multipliant les tirs. Le fameux Albert nous avait appris un peu les méthodes de la guerre. Les Anglais étaient à Caumont-l’Eventé, Livry, c’est- à-dire à sept ou huit kilomètres d’où nous étions. On entendait le départ des coups de canon, aussitôt on s’était mis à l’abri.
Mardi 13 juin, combats violents entre Anglais et Allemands Le mardi matin au réveil, bonne nouvelle, quelqu’un était venu nous annoncer que les Anglais étaient sur la route d’Amayé-sur-Seulles, à un kilomètre d’où nous étions. Aussitôt Albert et papa étaient parti à Amayé en passant par Fossard. Ils avaient emmené du cidre, du champagne, du calvados, des œufs et des fleurs pour les Anglais. En effet, les Anglais étaient là, à la ferme de Monsieur Bisson et sur la route de Caumont – Villers. Nous, les gamins, nous avions des ordres de rester avec les femmes à la maison. Toute la journée, bruit du canon et des mitrailleuses, on se battait du côté de Villers. Dans le village ni Anglais, ni Allemand, nous pensions être libérés d’ici peu. À Villers, il y avait encore les pompiers, la poste, les gendarmes et quelques habitants. Les combats avaient duré toute la journée. A ce moment, si on était reparti avec les Anglais, on aurait été libérés. Le soir du 13, nous dormions dans la tranchée, tous ensemble, un vrai calvaire pour tous, avec un bruit de canon ininterrompu.
Mercrerdi 14 juin, des chars en face de nous On se battait dans notre secteur, après la nuit dans la tranchée tout le monde était revenu à la maison. Dans la matinée papa et Albert avaient décidé d’aller à Villers malgré la mitraille ; au bout d’une demi-heure, ils revenaient et se trouvèrent face à un char allemand. Un officier allemand, revolver au poing, leur avait signifié de faire demi tour, impossible de se rendre à Villers, les SS repoussaient les Anglais. Dans la soirée, quatre chars allemands étaient venus s’installer juste en face de la maison. Nous avions regardé la manœuvre, les soldats creusaient un trou dans le sol sous un pommier, ils avançaient le char au dessus du trou et dormaient dessous. Aucun contact avec les civils. Le soir, nos parents avaient décidé de coucher dans la maison. Nous étions endormis quand des coups frappèrent à la porte, les Allemands veulaient manger et coucher dans la maison, Albert avait montré à l’Allemand tous les gens allongés sur des matelas dans la cuisine, il n’avait pas insisté et avait été voir ailleurs.
Jeudi 15 juin, en plein milieu de la bataille Finie la libération, les Allemands étaient revenus, leurs chars repartaient vers Amayé-sur-Seulles dans la matinée. On se battaient vers Amayé, les Anglais se repliaient vers Livry en passant par Briquessard, ça crépitait de partout. Après le repas du midi, maman balayait devant la maison quand soudain une balle perdue était venue se loger au dessus de sa tête dans la porte en bois. Nous étions passé à côté de la libération, voyant les Anglais se replier nous aurions du évacuer avec eux. Nous sommes resté chez notre ami Albert, nous n’occupions plus la tranchée, par contre quelquefois les Allemands l’occupaient. La vie continuait, les hommes allaient au ravitaillement, ils allaient chercher le pain à la ferme du château d’Amayé à travers champs chez monsieur Piquenard, qui faisait du pain dans un vieux four. Les femmes ne sortaient pas, les gamins pas davantage. Heureusement, il y avait les poules, les lapins et les légumes pour nourrir tout ce monde. La dernière semaine de juin, toujours avec le bruit du canon, on faisait attention au départ des tirs, mais souvent ça passait au dessus de nos têtes. De temps en temps, quelques duels d’avions, des divertissements « très intéressants », des as ces aviateurs. Les Allemands installaient des lignes téléphoniques à travers les champs et les chemins creux, rien de bon pour nous.
Vendredi 30 juin, l’apocalypse sur Villers Le nuage de fumée était au dessus de Villers. Dans le village, de l’autre côté de la route, madame Costard était seule dans sa maison, une petite ferme. Au fond de la cour, une maisonnette était vide ; gentiment, madame Costard nous l’avait proposée. Aussitôt, nous avions déménagé pour libérer un peu Albert. Madame Hardy était venue avec nous. Le déménagement n’était pas compliqué, le triporteur et quelques ustensiles de cuisine. Tout s’était fait à la cheminée, madame Costard était une bonne grand-mère normande avec sa longue jupe, son tablier et sa coiffe en laine. Tous les matins elle faisait de la galette pour le petit déjeuner, on appelait ça le dix heures ; qu’elles étaient bonnes ses galettes. Un nuage de fumée était resté au dessus de Villers et notre maison pendant plusieurs jours, l’épicerie était-elle détruite ? Papa avait décidé d’y aller avec Albert, j’étais parti avec eux, tout était calme, au Haut de Saint-Louet, sur la côte un char allemand détruit, au moulin de Villers dans les virages, un soldat à demi enterré le corps recouvert de terre, la tête et les pieds dépassaient du sol. Dans le champ derrière, un avion était coupé en deux, le moteur dans le fossé avec les ailes et le fuselage et la queue un peu plus bas dans le pré, c’était un avion américain, et son pilote enterré. En arrivant à Villers on avait rencontré des débris de toutes sortes, des Anglais et des Allemands sous un tas de cailloux. Notre maison était entièrement détruite, il restait un pan de mur à mi hauteur, et parmi les ruines notre chatte était toujours là, bien vivante. Impossible d’en approcher tellement elle était redevenue sauvage, j’étais revenu à Anctoville très triste sans notre chatte.
Mardi 4 juillet, nios premiers Anglais sont des prisonniers Nous étions très bien installés dans notre maisonnette, sans confort mais libres, dans la matinée, branle bas de combat, la cour avait été envahie par les Allemands venant du bourg d’Ancto-ville, une auto mitrailleuse s’était avancée juste devant la porte d’entrée de madame Costard. Quatre Anglais étaient descendus du blindé, ils étaient prisonniers. Du fond de la cour, nous avions observé sans nous approcher. Les Allemands fouillaient les Anglais, et faisaient l’inventaire de leurs musettes, pendant une demi heure les Anglais avaient été gardés dans la cour par des sentinelles allemandes. Les Anglais nous regar-daient de temps en temps. C’était les premiers soldats anglais que je voyais, et ils étaient prisonniers. Les allemands avaient enfermé les prisonniers dans la cave de madame Costard, deux gardes devant la porte. Dans l’après midi, un camion avait emmené nos malheureux soldats anglais. Nous étions tout près de la ligne de front, un matin dans la cour nous avions trouvé un béret anglais, peut–être laissé là par une pa-trouille de nuit. Et nous avions toujours le bruit de la canonnade. Nous sommes restés huit jours dans cette maisonnette.
Jeudi 6 juillet, les Allemands barrent la route On commençait à s’habituer à la guerre. Ce matin là, papa et Albert avaient décidé de retourner à Villers, je n’étais pas du voyage. Au retour, Papa nous avait raconté les péripéties. En arrivant dans Villers, ils avaient été pris sous des tirs d’obus au niveau de l’hospice, ils s’étaient terrés dans l’herbage derrière l’hospice (actuellement le terrain de sport), ils étaient redes-cendus jusqu’au bois d’Ecanet, où il y avait plein de soldats allemands qui les avaient refoulés vers le moulin de Villers à travers champs. Ensuite ils étaient revenus à Anctoville dans l’après midi, en jurant de ne jamais y retourner.
Vendredi 7 juillet, nouvel ordre d’évacuation J’avais remarqué que c’était toujours un samedi qu’il fallait partir. Dans la journée du 7 juillet, les Allemands donnent l’ordre d’évacuer à tous les civils. Départ le samedi 9 juillet, nous rechargeons le triporteur, madame Hardy tire une brouette, moi en vélo avec des colis de toutes sortes : chaussures et affaires diverses. Je porte la même culotte courte de velours côtelé mar-ron depuis le 6 juin. Les cultivateurs préparent leur grande charrette, papa donne une caisse de draps à monsieur Lejardinier qui nous propose de l’emporter moyennant un peu de sucre (nous avions a peu près vingt grammes de sucre en poudre. Tous ces préparatifs sont faits le vendredi après midi. Samedi 8 juillet, sur les chemins Samedi matin, nous nous étions rassemblés au village du Biéville. Les cultivateurs avec leurs charrettes chargées de matériels hétéroclites, des mues accrochées au dessous avec des poules. Tous les bovins étaient restés sur place, à part les chevaux et les ânes qui servaient d’attelages. Notre ami Albert était parti avec un âne attelé à une petite voiturette. Le départ avait eu lieu en début de matinée, l’itinéraire était tracé par l’armée allemande et devait être respecté. Nous montions la côte vers Amayé-sur-Seulles partant du Biéville. A peine un kilomètre après le départ, à l’intersection de la ferme de monsieur Barral, un tir d’artillerie avait jeté tout le monde a plat ventre dans le fossé, les obus tombaient sur Amayé-sur-Seulles et nous devions traverser ce village pour rejoindre la route de Caumont – Villers-Bocage ; nous avions pris un raccourci pour éviter Amayé. Nous avons traversé la route de Caumont en direction de Tracy-Bocage, puis Maisoncelles-Pelvey, en traversant la nationale vers Vire au village de la Poste. Au village de la Poste, en plein carrefour un incident s’était produit, une charrette avait cassé un longeron, il avait fallu dégager la charrette, tout le monde était resté bloqué pendant un quart d’heure. Maisoncelles-Pelvey, le haut de la côte à Belissent à gauche Longvillers le moulin de la Capelle nous suivions la vallée de l’Odon, il y avait des Allemands partout dans les bois. Sur la route d’Aunay-sur-Odon – Caen nous remontions vers Le Mesnil-au-Grain puis Courvaudon, nous étions passés sur le plateau de Bonnemaison. Encore un incident, nous avions été croisé par de gros chars allemands qui remontaient vers le front ; un cheval de monsieur Piquenard avait été accroché par un char, le cheval avait eu la jambe cassée, il avait fallu l’abattre, il avait été remplacé par un cheval de réserve. Au dessus de nous, les doubles fuselages tournaient. Les avions étaient terribles et efficaces, mais n’osaient pas attaquer une colonne de réfugiés à côté des chars. Monsieur Lejardinier avait annoncé à papa qu’il ne pouvait plus transporter notre caisse de linge, il l’avait déposée sur place dans le champ. Heureusement il y avait encore des braves gens, monsieur Piquenard nous avait proposé de la prendre dans sa charrette. Maman et papa poussaient le triporteur avec Jacqueline et André, moi je poussais le vélo. Nous avions traversé ensuite la route Aunay – Thury Harcourt. Nous étions passé à Valcongrain, Cauville-sur-Mer, Saint-Pierre-la-Vieille, et nous descendions la côte vers Pontécoulant. Nous croisions des camions allemands carbonisés, les corps des soldats noircis, raccourcis, carbonisés, les os d’une couleur jaune. C’était affreux à regarder. Les camions fumaient encore. A Pontécoulant nous filions vers Saint-Germain-du-Crioult où était prévue une halte et un repas. Vers cinq heures, nous étions arrivé à Saint-Germain, tout était organisé, les repas et le couchage, nous étions dans une grande ferme, nous avons dormi dans un hangar sur de la paille, tout le monde côte à cote, très peu de sommeil.
Dimanche 9 juillet, enfin nous dormions dans un vrai lit Il faisait beau, tout le monde était dehors, café, toilette à la pompe ; toute la colonne était repartie en direction de Saint-Pierre-d’Entremont, c’était un centre de transit pour réfugiés, il y en avait partout. A Saint-Pierre-d’Entremont nous avons quitté la colonne, monsieur Piquenard nous avait laissé la caisse de linge. A quelques kilomètres de là, un petit pays : Clairefougère ; nous étions nés ici, les parents s’y étaient mariés, et le frère de maman habitait dans une ferme. Notre ami Albert et monsieur Hardy étaient venus avec nous, nous trouverions bien à les lo-ger. L‘oncle Pierre et Irène furent surpris de nous voir débarquer, eux aussi étaient inquiets de notre sort, ils posèrent beaucoup de questions sur le Débarquement. C’est une grande maison, une oasis de paix, le calme, fini la canonnade et les tirs de mitrailleuses, même pas d’avion dans le ciel. Le soir, nous dormions dans un lit pour la première fois depuis le dix juin, après une bonne soupe et un bon repas à la grande table de ferme, Madame Hardy était avec nous, notre ami Albert et Eugénie étaient dans une petite maison a côté de la ferme.
Lundi 10 juillet, une semaine tranquille Nous reprenions goût à une vie normale, avec le mouvement de la ferme. Tout le monde était occupé aux travaux de la ferme : les poules et les lapins à soigner, c’éatit la partie des enfants. Les adultes faisaient les gros travaux. Autour de la ferme il y avait un plan de pommiers, la ferme se trouvait dans un petit vallon ou coulait une rivière, et la maison d’habitation se trouvait à deux ou trois cent mètres de la rivière, les lessives avaient lieu au bord de la rivière. Dans un champ de blé au dessus, un avion de chasse allemand avait fait un atterrissage forcé, il s’était écrasé sur le ventre, nous avions été le voir. Aucune activité militaire autour, la première semaine chez l’oncle et la tante se passa tranquillement. Les hommes allèrent à la pêche à la truite dans la rivière ; papa avait fabriqué des filets pour pêcher. Un filet avec deux bâtons pour fouiller dans les trous de la rivière, un jour, ils ramenèrent trente cinq truites. Aucune restriction pour les repas, j’appréciais surtout le jambon fumé que l’on décrochait du conduit de cheminée.
Samedi 22 juillet, nouveau départ Première semaine à Clairefougère, nous n’avions pas beaucoup de nouvelles du front de Normandie. La deuxième semaine fut plus agitée, et d’autres réfugiés arrivèrent à la ferme, une sœur de ma mère avec son mari et ses deux filles ; ils étaient en charrette avec une vache attachée derrière, elle donnait du lait pour les enfants. L’effectif à la ferme grossissait, ces gens venaient d’une petite commune qui s’appelait Pierres, située entre Vire et Vassy, cela voulait dire que le front se rapprochait. On recommençait a entendre des bruits sourds de canonnade au loin. L’ordre d’évacuation pour la commune de Clairefougère arriva, départ le samedi 22 juillet. Décidément le samedi était propice à l’évacuation. Nous avons recommencé a préparer nos bagages. A la ferme, on attela le cheval à la charrette chargée de matelas. Le triporteur fut rechargé, il faisait beau, et nous sommes repartis vers le sud. Nous reprenions la direction de Flers, toujours par des petites routes. Nous étions en famille, presque toute notre famille habitait dans le département de l’Orne. Nous sommes passés à Flers vers midi , nous avons rencontré très peu d’Allemands. Après Flers nous avons pris la direction de La Ferté Macé. Sur cette route se trouvait le bourg de Messei, où habitait une autre tante qui tenait un fond de boulangerie, une sœur de ma mère la famille Turmel. En milieu d’après midi nous sommes arrivés à Messei, nous avons quitté la colonne de réfugiés pour être accueilli par la famille Turmel. Hélas, la tante ne pouvait pas accueillir toute la famille, qui se composait de deux charrettes à gerbe plus la vache de tante Louise qui y tenait beaucoup. Après une bonne collation et des projets d’établir un programme pour la suite, Edmond Turmel nous a indiqué une ferme près de Messei ou nous pourrions stationner.
Dimanche 23 juillet, une forteresse volante américaine s’écrase devant nous Il y avait des réfugiés qui partaient en campagne et qui se trouvaient bien souvent à coté de convois allemands. Nous avons passé la nuit à la ferme, dans les communs. Maintenant, le bruit du canon se rapprochait, l’aviation nous survolait sans arrêt, et la défense contre avions tirait sans cesse. Vers midi, une vague de bombardiers était passée au dessus de la ferme, la DCA tirait à tous feux, un bombardier fut touché. On le vit quitter sa formation, de la fumée se dégageait derrière l’avion; aussitôt nous avons aperçu cinq ou six parachutes qui s’ouvrirent. L’avion descendit doucement, il passa au dessus de nos têtes, dans un bruit terrifiant, des soldats allemands affolés coururent dans tous les sens, n’ayant même pas vu une clôture de fil de fer barbelé qui se trouvait là, ils s’étalèrent par terre avec tout leur matériel. Le bombardier tournait en rond, les pilotes cherchaient un lieu pour se crasher. Une deuxième fois il passa sur nous encore plus bas, une grosse masse grise qui nous tombait dessus. Tout le monde était affolé, les animaux, les chevaux, que les oncles tenaient par la bride, toute la famille se dispersa, je ne savais pas où étaient mes parents, je n’ai jamais eu aussi peur. Enfin, le bombardier s’écrasa un peu plus loin dans un herbage, nous avons toujours cru que les pilotes avaient voulu éviter les habitations. Le choc fut terrible, l’avion était chargé de bombes. Aussitôt, sur la route des motos allemandes recherchèrent les parachutistes américains. Aprés ces péripéties tout le monde chercha à se rassembler, ce jour là nous sommes restés sur place. En fin d’après midi, nous sommes retournés à pied chez la tante à Messei, il n’était question que du fameux bombardier, certains allèrent se rendre compte sur place, il y avait un immense cratère.
Lundi 24 juillet, ravitaillement dans les fermes Nouveau départ vers le sud, direction Briouze, plus on descendait plus le bruit de la canonnade s’intensifiait, la famille restait ensemble, nous nous trouvions mélangé à des réfugiés inconnus. L’activité des avions de chasse était intense. Deux repas par jour, un le matin, un le soir; nous allions chercher de la nourriture dans les fermes, pour les pommes de terre et les oeufs, c’était souvent gratuit. Nous couchions sous les charrettes, la nuit c’était un feu d’artifice de fusées éclairantes, pas moyen de dormir.
Mardi 25 juillet, le fusil allemand Cette nuit là, nous avions stationné en pleine campagne dans un plan de pommiers, les charrettes stationnaient le long d’une haie. La vache de la tante était toujours là pour nous donner du lait. Ce matin là, les avions de chasse anglais tournaient au dessus de notre campement, encore une frousse en vue, surtout qu’il y avait des Allemands un peu partout. Aussitôt, Albert et papa demandèrent des draps blancs, des serviettes, n’importe quoi et nous sommes partis au milieu de la prairie agiter tout ce qui ressemble à des fanions blancs, pour signaler que nous étions des civils. Les avions passaient et repassaient, et à la fin s’en allèrent en battant des ailes de droite à gauche; une initiative qui nous avait peut être évité un mitraillage ; nous avons su après, que les chasseurs devaient se débarrasser de leurs munitions avant leur retour à la base. Après cet incident nous avons préparé le départ. Ce jour là, une petite anecdote : dans un pommier il y avait un fusil allemand accroché à une branche, peut être oublié par un soldat dans la débâcle; en passant, papa décrocha le fusil et le glissa dans la caisse du triporteur à travers le linge ; le fameux fusil revint jusqu’à Villers-Bocage. C’était un truc à nous faire fusiller tous ! Je n’ai jamais su ce qu’il devint après. Toujours par les petites routes de campagne nous approchions du Menil-de-Briouze, comme nous étions parti vers midi, nous avons fait très peu de kilomètres cet après midi. Le soir, nous nous sommes installés dans une ferme, nous avons couché sur des matelas dans un hangar sous les tôles.
Jeudi 27 juillet, nous sommes libérés par les Américains Ce matin, il y avait un violent tir d’artillerie dans notre secteur, cela a duré toute la matinée. Les éclats tombaient sur les tôles du hangar. J’avais un oncle qui se protégeait sous un matelas. La tante était restée à l’extérieur près de sa vache, ses deux filles a côté abritées dans un tonneau vide, dont la partie avant était ôtée. La tante Louise se serait fait tuer pour sa vache. Le tir d’artillerie se calma vers midi, quelqu’un nous annonça que les Américains étaient tout près, nous avions quitté les Anglais dans le Calvados pour retrouver les Américains dans l’Orne. De fait, en fin d’après midi, nous nous sommes rendus par un petit chemin dans un herbage, pas très loin les soldats américains étaient là le long d’un fossé, chaque soldat dans un trou d’homme, nous étions libéré. Les premiers chewing-gums pour les gosses et des cigarettes pour les grands. Le lendemain, nous sommes revenus dans l’herbage où se trouvaient les Américains, pendant que les parents se préparaient pour le retour. Nous avons été libérés au Menil-de-Briouze par l’infanterie américaine, les Allemands fuyaient la poche de Falaise.
Samedi 29 juillet, le piano sous les pommiers Au retour, nous nous sommes arrêtés à Messei chez l’oncle et la tante, qui d’ailleurs n’avaient jamais évacué. Après une petite halte à Messei, nous sommes retournés à Clairefougère, toujours avec les charrettes et la vache. Avant d’arriver à Flers, juste au passage à niveau de la ligne Granville Paris, nous avons rencontré des gens de Villers, la famille Pottier, nos voisins de la place Richard Lenoir où j’allais aux nouvelles avec mon copain Paul Boutrois. Dans la soirée, nous étions de retour à la ferme de Clairefougère, notre ami Albert et sa famille retournaient dans leur maisonnette tout près. La maison d’habitation était presque transformée en bunker, les volets fermés par des fagots entre les persiennes et les fenêtres, un grand désordre dans la cuisine, sans doute un départ précipité, l’armée d’occupation était passée par là. Dans le plan de pommiers il y avait du matériel abandonné, un piano presque neuf était là sous un pommier. L’oncle et la tante, avec la vache, étaient restés à Clairefougère le soir, pour repartir le lendemain chez eux à Pierres.
Dimanche 30 juillet, les débris de la guerre Dimanche, grand nettoyage, tous les cultivateurs de la commune rentraient les uns après les autres et cherchaient à récupérer leurs animaux. La vie active de la ferme reprenait, pour l’environnement il y avait beaucoup à faire. Dans un herbage, juste au dessus de la ferme une batterie d’artillerie allemande avait dû stationner, nous avons retrouvé tous les accessoires à l’emplacement des canons, des caisses en bois pleines de douilles d’obus, sans les obus. Ce qui expliquait le départ précipité, et la ferme servant d’abri pour les chefs. Aucune zone minée à la ferme et dans la commune. Tout prés, passait la ligne de chemin de fer Paris – Granville, déjà des soldats américains la remettaient en état.
La vie reprend à Villers-Bocage Et les jours passaient, un matin nous avons entendu le son d’une musique sur la route, nous sommes allés aussitôt dans cette direction. Surprise, un groupe de soldats anglais, cornemuse en tête, marchait au pas et se dirigeait vers un petit vallon tout à coté. Ils étaient là pour des exercices de tirs au fusil. Et retour en musique, nous avons eu droit à ce divertissement pendant plusieurs jours. En fin de semaine, notre ami Albert décida de revenir à Anctoville en éclaireur. Madame Hardy rentrait avec eux. Nous, nous sommes restés à la ferme. Nous avions aussi une autre tante qui habitait dans une ferme à Montsecret à quelques kilomètres de Clairefougère. De temps en temps nous allions la voir en prenant un raccourci à travers champs, et en traversant la ligne de chemin de fer. Sur la ligne, il y avait des soldats américains, nous allions les voir pour obtenir du chewing-gum et des cigarettes pour papa. Les Américains étaient très généreux, beaucoup plus que les Anglais. On ramenait aussi du pain de riz, très blanc. Les premiers passages de trains un peu plus tard étaient remplis de prisonniers allemands dans des wagons découverts. Au passage de la gare de Montsecret, le train ralentissait, une belle occasion pour nous de lancer des pierres sur les prisonniers. Chez la tante de Montsecret il y avait un régiment d’artillerie anglais qui stationnait dans la ferme, des canons de gros calibre sous les pommiers avec leurs tracteurs. Je connaissais bien cette ferme pour y avoir passé mes vacances entre 1940 et 1944. Ma tante était seule sur la ferme car son mari était prisonnier. Le travail à la ferme, pour nous les gamins, c’était le ramassage des pommes, tous les matins. Le piano était notre souffre douleur, le pauvre, complètement désarticulé. Les jours passaient, c’était l’été à la campagne. Puis papa décida de revenir à Villers avec le triporteur, j’étais du voyage, maman, ma sœur et mon frère restaient à la ferme. Nous sommes partis un matin, direction Moncy, Vassy, Danvou-la-Ferrière, Aunay-sur-Odon et Villers ; à part quelques militaires anglais, nous n’avons rencontré presque personne sur la route. Le soir, nous sommes arrivés à Anctoville, notre ami Albert nous a hébergé. Une grande partie des cultivateurs étaient rentrés. Le lendemain, nous avons laissé le triporteur à Anctoville dans notre gîte chez Monsieur Costard, et très tôt nous sommes partis pour Villers, notre bourg était en ruine, seules quelques maisons étaient encore habitables, du côté de la gare et dans la rue Jeanne Bacon. Nous sommes allés voir notre maison, un tas de cailloux, puis après, nous nous sommes rendus dans notre jardin qui se trouvait vers la gare, sur le chemin qui allait chez monsieur Robine (emplacement actuel de Champion). Dans le sentier qui conduisait au jardin se trouvaient des matelas, du matériel de cuisine et d’autres matériaux, un vrai campement de militaires en plein air. Nous avons récupéré des casserole en cuivre que nous avons caché dans le jardin ; mais au retour un peu plus tard, les casseroles avaient disparu, la guerre était une belle occasion pour les voleurs. Après la visite au jardin – pendant la guerre nous avions trois jardins, deux à Villers et un à Villy-Bocage – nous sommes redescendus dans le bourg, direction la maison de monsieur Doublet, maison qui existe toujours face à la résidence des personnes âgées. Monsieur Doublet était maire, et il avait installé un semblant de bureau dans son sous sol pour recevoir les sinistrés, et nous nous sommes inscris en tant que tel. Vers neuf heures, ce fut le retour vers Clairefougère à pied. Papa pensait faire à peu près cinq kilomètres à l’heure, pronostic prévu entre Aunay et Villers. Nous sommes passés à Aunay, le bourg était complètement détruit, seul subsistait le clocher au milieu des ruines. Après direction Danvou-la-Ferrière, le village n’était pas détruit, personne sur la route à part quelques véhicules militaires. Certains endroits étaient balisés par des rubans blancs qui indiquaient des emplacements minés. Nous marchions unique-ment sur la route, en évitant même les bas cotés. Vers deux heures, nous nous sommes arrêtés pour le casse croûte, nous étions au carrefour de la Chenatée près d’Estry, installés dans un fossé où des soldats anglais avaient séjourné en laissant du matériel, j’ai récupèré deux cartouchières en toile et un porte documents. J’ai toujours une cartouchière à la cave. Après le casse croûte direction Vassy, la route était longue ; je commençais à avoir mal aux pieds, j’ai enlevé mes chaussures et j’ai entouré mes pieds avec des chiffons pour protéger les plaies. La moyenne en kilomètres diminuait, sur le plateau avant Vassy, nous trouvions quelques chars anglais calcinés, après une petite inspection, nous avons découvert que les cadavres des conducteurs étaient toujours sur leurs sièges. Cinq ou six kilomètres avant Vassy, une vachère avec un cheval nous dépassait, s’arrêtait et le cultivateur nous proposa de nous emmener jusqu Vassy, pas besoin de nous le répéter deux fois. Vassy, bourg non détruit, le cultivateur nous y déposa, il prenait une autre direction que la notre. A pied nous sommes partis vers Moncy, c’était la fin de l’après midi à Moncy, nous avons coupé à travers champs et par les chemins creux pour arriver à la ferme de Clairefougère complètement épuisés. Nous sommes restés encore quelques jours à Clairefougère, le temps d’organiser notre retour. La tante de Montsecret nous proposa une carriole avec un cheval pour nous rapatrier. La famille nous donna quelques ustensiles de ménage, ainsi que de la literie. Puis un matin, la carriole fut attelée avec son chargement et toute la famille quitta Clairefougère pour le retour vers Villers. Mon frère prit les rênes du cheval, c’était un peu l’aventure. Le voyage se passa bien, nous avions un cheval très docile et courageux. Toujours le même trajet : Moncy – Vassy – Danvou-la-Ferrière, en milieu d’après midi nous sommes arrivés à Aunay-sur-Odon au milieu d’un convoi militaire anglais. Un soldat de la police militaire nous a arrêté, il fallait attendre que le convoi traverse le bourg. En plus, ce militaire nous a dressé une amende pour avoir coupé un convoi, nous avons toujours cru qu’il nous avait escroqué de l’argent pour son argent de poche. Le voyage se termina à Anctoville, au village du Biéville, nous avons repris possession de notre petite demeure dans la cour de madame Costard. Le lendemain, le cheval avait bien mérité son repas. Puis papa repartit pour Clairefougère avec la carriole à vide pour rendre l’attelage à la tante Denise. Pour nous les gamins, les vacances continuaient, pour les parents tout était à organiser. Nous allions souvent à Villers, le premier travail fut de déblayer la maison, nous avons récupéré quelques assiettes, autrement rien. Mais on s’en était sorti, c’était le principal. Nous avions aussi un garage, route de Saint-Louet, notre voiture, une Citroën B2 qui n’avait pas roulé de puis quatre ans. Devant la porte du garage il y avait un tas de gravats qui empêchait l’entrée. Nous avons déblayé l’entrée à la pelle et la pioche. Puis avec un cheval nous avons sorti la voiture en passant par dessus les décombres. Le cheval attelé devant la voiture a ramené la voiture à Anctoville, dans la cour de madame Costard. Nous avions l’intention de la remettre en route. Après une bonne révision des bougies de la magnéto, et beaucoup d’essais en la poussant à la main, nous avons réussi. Premier voyage à Caumont l’Eventé pour faire des courses. Caumont n’avait pas subi de bombardements, il y avait quelques commerces. Le marché de Villers du mercredi avait tendance à repartir. Tous les habitants de Villers étaient pour la plupart dans la campagne autour. Il restait encore quelques maisons qui étaient habitables du coté de la gare, et dans la rue Jeanne Bacon. L’épicerie Laumonier s’installa dans les établissements Rivière. Les boulangers étaient en campagne, et faisaient le pain dans des fours de fermes. Le problème de l’approvisionnement était le plus difficile à résoudre. Un jour à Anctoville, les parents reçurent la visite d’un représentant de la maison Caiffa qui annonça l’arrivée d’un camion de marchandises d’ici quelques jours. Le camion devait venir de Paris avec de l’alimentation, du matériel de cuisine, de la bonneterie, des anciennes primes. Le jour du marché, les parents installèrent leurs marchandises sur le trottoir en face de la maison de mon-sieur Tribouillard. Un peu plus tard, avec du bois de récupération pris dans les décombres, papa monta une petite échoppe dans le jardin de madame Tribouillard en bordure de la route. Au début on venait au marché avec le triporteur, seulement le mercredi matin, ensuite c’était en voiture avec la B2 le mercredi et le samedi matin ; tout se vendait, nous les gamins on fabriquait ders lacets pour chaussures avec du fil téléphonique anglais, et aussi des petites lumignons pour s’éclairer. Les administrations étaient de nouveau en place, la poste au manoir de la Queue de Renard (Tracy-Bocage), la gendarmerie à Epinay-sur-Odon, la mairie à Villers-Bocage chez monsieur Doublet, les docteurs au château avec l’hospice. Des cas de typhoïde se déclarèrent à cause de l’eau polluée, et la gale se répandit chez les enfants. Je fut pris le premier, après ce fut ma sœur et mon petit frère, tous les jours on avalait de la tisane forte avec de la racine de doche, très peu efficace. Ensuite nous subissions des bains avec une potion soufrée, tout nus dans un baquet, un traitement plus efficace. La guerre n’était pas terminée, de temps en temps des convois américains passaient sur la route d’Amayé, des GMC avec remorques, conduits par des noirs ; le pont sur la Seulline avait du mal à résister à ce trafic En janvier 1945, l’école réouvrit deux classes à Villers et une à Epinay. Anctoville – Villers à pied tous les matins, avec la gamelle pour le midi réchauffée sur le poêle, retour le soir toujours à pied. Quand il y avait de la neige nous quittions un peu plus vite l’après midi. Les classes, deux baraquements installés dans les herbages de monsieur Bernouin, actuellement la salle Richard Lenoir. La vie reprenait peu à peu. Les courriers Normands étaient installés place Richard Lenoir dans un baraquement. Monsieur Fessard y habitait juste devant notre ancien magasin ; il avait, au passage, adopté notre petite chatte rescapée du bombardement ; elle avait vécu dans les décombres de la maison pendant tous ces événements. Le pre-mier Noël après la Libération fut triste, la fin de la guerre était toute proche. Nous avions toujours les tickets de rationnement, nous prenions le pain au Haut de Saint-Louet, à la ferme de Raoul Hebert où monsieur Fleury boulanger était installé. Tous les soirs, j’allais chercher le lait à la ferme de madame Costard, dont le mari était toujours prisonnier en Allemagne.
8 mai 1945, la fin de la guerre Le 8 mai 1945, ce fut la capitulation de l’Allemagne, une grande joie pour tout le monde, le soir au village du Biéville, ce fut la fête. Feux de joie, danse et accordéon jusqu’au matin, une joie que l’on ne pouvait pas décrire. La fête continua le lendemain au bourg d’Anctoville. Après, ce fut l’attente du retour des prisonniers et des déportés. A Villers, un seul déporté revint sur les six arrêtés, il s’agissait de madame Marguerite, secrétaire de mairie à Villers, elle ne survit qu’un an. À Villers-Bocage, il y avait un camp de prisonniers allemands, c’étaient eux qui déminaient. Il y eut plusieurs accidents. En dehors de son commerce, papa faisait du déblaiement pour des particuliers dans le bourg (déblaiement surtout de coffre fort). Puis nous avons quitté la demeure du Biéville pour déménager dans une autre maison au Haut de Saint-Louet, une maison qui appartenait à Monsieur Philips (tricoterie). Ça nous rapprochait d’un kilomètre de Villers. Il fallut se réinstaller, la maison était plus grande, cuisine, chambre et cave, plus un grand grenier. Nous avons fait connaissance avec nos nouveaux voisins, monsieur Tanquerel était le plus proche. Un peu plus loin, la ferme d’André Pierre et madame Leonard où nous prenions le lait. Nous avons essayé d’améliorer l’habitat, c’était une maison inoccupée depuis longtemps. Nous avons tapissé la chambre avec des cartes d’état major de l’armée anglaise, c’était la mode du moment, faute de mieux, la colle était faite avec de la farine. Puis un jour d’été, maman a attrapé une insolation, le docteur Dary arriva du château, médicaments et isolation en chambre noire. Je partis à bicyclette à Caumont-l’Eventé chercher des médicaments à la pharmacie la plus proche. A Villers, un semblant de vie reprenait. Des baraquements commerciaux furent installés dans les herbages autour du bourg détruit (actuellement rue Auguste Briard et sur le boulevard allant vers la gare). Il fallait se faire inscrire à la mairie pour l’attribution de dix baraquements (anciennes douches allemandes) derrière l’usine de monsieur Rivière. Ce furent les premiers baraquements construits à Villers. L’année scolaire se termina, je du quitter l’école. Monsieur Lerebourg, l’instituteur et maître Levesque, le notaire vinrent trouver mon père, j’étais présent. Leur visite avait pour but de demander si j’étais d’accord pour aller travailler chez maitre Levesque. Le père a refusé, soutenant que je devais apprendre un métier manuel. L’été 1945 se passa au Haut de Saint-Louet, Villers s’organisait, avec le marché aux bestiaux place de la gare. La boulangerie Ozenne construisit une isba (toute en bois) à la mode russe, juste à coté de monsieur Lecomte actuellement (marchand de bière, sur l’emplacement de l’ancien patronage. A côté de monsieur Ozenne une église provisoire dans un Roodney (tonneau de l’armée anglaise). Tout ça, boulevard Joffre. Des baraquements commerciaux furent montés dans un herbage entre la gare et l’ancien marché, actuellement rue Auguste Briard. Un grand complexe de baraquements de bois fut monté dans un herbage sur la route de Caen, face au calvaire, actuellement lotissement de Jérusalem, le complexe était prévu pour les ouvriers de l’Oncor (Organisation Nationale des Cantonnements pour Ouvriers de la Reconstruction). Les baraquements étaient construits par le gouvernement, comme les cantines, les salles des fêtes… Plus tard ces baraquements furent employés pour les colonies de vacances des « petits parisiens ». Pendant les vacances, de temps en temps, je travaillais à la ferme chez monsieur Léonard, pour des petites corvées. Pendant les vacances, monsieur Lerebourg s’occupa de mon cas, à la rentrée je du rentrer à l’école de Douvres-la-Délivrande, un centre d’apprentissage pour métiers manuels. La veille au départ, je fus invité à manger à la ferme chez monsieur Pierre, Antoinette était ravie. Puis ce fut le départ pour Douvres avec papa, sur le cadre de la bicyclette, la fameuse bicyclette qui avait fait l’évacuation. Quarante kilomètres sur le cadre, avec une valise en bois derrière, sur le porte bagage. Papa me déposa à l’école, et revint aussitôt à Villers, un souvenir inoubliable, le premier départ de la maison. Je ne devais revenir qu’aux premières vacances à la Toussaint.
Excellente témoignage, très complet et même poignant !
Je l’ai même traduit en anglais pour mon frère en Angleterre car notre père faisait parti de cette bataille en 1944 parmi le RA (Royal Artillerie). Si cela vous intéresse je vous l’envoi ?
Merci beaucoup.
Depuis tout petit ma grand-mère, qui réside à Coulvain, m’a très souvent parlé du piano de sa mère qui a disparu pendant leur exode de l’été 44, certainement volé par les allemands dans leur fuite. Coïncidence? J’aime à croire que non. Merci
Extrêmement intéressant. Merci d’avoir mis tous vos souvenirs si détaillés par écrit.