Un certain 5 juin 1944, l’arrivée du premier soldat américain

Un certain 5 juin 1944Roger Lecheminant avait vingt ans en 1944, ses parents possédaient une ferme à Houesville dans la Manche. La débâcle de 1940, l’occupation, la libération par les parachutistes américains, et après… Il se souvient, comme si c’était hier. Tous les droits de l’auteur des textes et des photographies sont réservés. Toute reproduction ou utilisation des œuvres, autre que privée ou à fin de consultation individuelle sont interdites, sauf autorisation.

Le départ des Anglais, l’arrivée des Allemands En 1940, je me souviens des Anglais qui partaient pour embarquer à Cherbourg. Ils ont fait sauter les ponts à Carentan, et la marine de Cherbourg, avec ses canons, a bloqué les Allemands pendant 24 heures. Mais un officier allemand est allé trouver le maire de Carentan et lui a dit : « Si vous n’arrêtez pas les tirs on fait sauter la ville ! » ; alors le maire est parti avec un drapeau blanc pour dire à la marine de stopper ; le temps qu’ils fassent un détour, cela a permis aux Anglais d’embarquer. De Carentan à Cherbourg je les ai vu brûler tous les camions le long de la route pour que les Allemands ne s’en servent pas. Quand les Allemands sont arrivés on avait peur. Le premier que j’ai vu, c’était un éclaireur en side-car, puis du matériel, des convois sur des kilomètres, des camions et des charrettes avec des chevaux.

La vie quotidienne sous l’Occupation Avec les Allemands ça se passait pas trop mal, on s’occupait pas d’eux, ils n’étaient pas si terribles que ça. Ils réquisitionnaient les grandes maisons et les châteaux, ils en occupaient la moitié. A Carentan ils avaient monté des magasins. « Requis » à Cherbourg J’ai été réquisitionné – requis – fin 1942, par la Todt, pour faire des blockhaus. Il fallait envoyer deux jeunes par commune. On était 1200 ouvriers. Le travail était dur, mais les français sont malins. « Français grands filous ! ». Quand j’avais un décoffrage de blockhaus et que je trouvais une planche pas trop lourde je la gardais sur mon dos, je faisais le tour toute la journée avec. Ils s’en apercevaient mais ne nous faisaient pas de représailles. Les soldats allemands de la Todt étaient habillés en uniforme jaune, avec la croix gammée ; ils étaient assez gentils avec nous. Beaucoup parlaient français ; on discutait et on rigolait quelquefois avec eux. Je couchais à Cherbourg, à l’Hôtel Sud Amérique qui était à côté de la montagne du Roule. Il y avait une quarantaine de grands bâtiments, sans étage, réquisitionnés par les Allemands. On était quarante par chambre, avec des lits superposés. Une nuit, un bombardier est tombé dans le jardin, je dormais, je n’ai rien entendu. Le lende-main matin, il n’y avait plus personne dans la chambre. Les gars m’ont dit : « Tu n’as pas vu ce qui s’est passé, tu est resté là ? un bombardier est tombé à moins de vingt mètres du bâtiment ». Alors je me suis dit que je n’allais pas rester là. Je suis parti dormir à Carentan chez un de mes oncles ; je prenais le train pour Cherbourg, on l’appelait le « trouillard ». Mais ça bombardait tous les jours sur Cherbourg. Les Allemands fabriquaient des V1 et les V2 sous la monta-gne du Roule, dans un tunnel qui faisait plus d’un kilomètre de long. Les Américains devaient être renseignés, le 11 novembre 1942 ils ont balancé des milliers de bombes pour détruire les installations. Je me suis sauvé. Mais les Allemands ont été chercher mon père, et l’ont pris en otage. Alors je suis retourné à Cherbourg, je me suis présenté, ils m’ont emmené à la Feldkommandantur. Je leur ai dit que j’avais peur des bombardements. Ils ont relâché mon père. La Feldkommandantur m’a fait signer un papier comme « déserteur de l’armée allemande ». J’ai été placé dans un camp de discipline à Rouville-la-Bigot dans la Manche, et là, on coulait des blockhaus jour et nuit. On chargeait du sable dans des wagonnets. On allait à Cherbourg, du côté de la gare maritime, pour couler un blockhaus ; pendant trois jours on a travaillé jour et nuit. Le marché noir On était nourris : j’avais chaque jour 40 gr de beurre, 40 gr de saucisson et une demi boule de pain. Le soir on avait une soupe de farine d’orge. Ils nous payaient ; on achetait des fausses cartes de pain que les Belges nous vendaient, et avec ça on avait droit à trois livres de pain dans les boulangeries ; ça me permettait d’avoir de la nourriture un peu meilleure. J’avais droit à un paquet de cigarettes par semaine. Je les revendais une par une, dix francs la cigarette, pour acheter des tickets de pain. Les Mais on était mieux nourris à la maison, car on avait une petite ferme, on cultivait beaucoup de légumes, on faisait de l’élevage et on se débrouillait pour trouver de la farine pour faire des galettes, on avait de tout. Ça n’empêche pas qu’il fallait toujours se débrouiller, on faisait des échanges. Les villes ont plus souffert de la faim que nous ; tout le monde désertait les grandes villes comme à Caen et Cherbourg. tickets de pain étaient beaucoup plus cher que ne valait le pain, c’était trois à quatre fois le prix. C’était le marché noir.

Rommel et le Mur de l’Atlantique Les femmes russes On a souffert mais c’étaient pas nous les plus malheureux, c’étaient ces femmes russes. Parmi elles, une jeune femme de 18 ans parlait très bien le français et m’a raconté ; elle couchait au même hôtel que nous mais on avait pas le droit de leur parler, c’était interdit. Elles ont été capturées en Russie au moment où les Allemands ont capturé une ville vers Stalingrad. Ils ont mis des cars dans toutes les rues, et toutes les femmes de 18 à 60 ans ont été ramassées. Puis on les a emmenées à la gare. Elles ont roulé pendant huit jours, à quarante dans des wagons à bestiaux. Quand elles sont arrivées à Cherbourg, elles ne savaient pas qu’elles étaient en France. On les a emmené à l’hôtel Sud Amérique, elles ne logeaient pas dans les mêmes bâtiments que nous. Elles ont reçu un camion de carottes à moitié pourries pour se nourrir. Des trains de ciment arrivaient chaque jour, il était destiné à faire des blockhaus. Le matin, elles partaient à la gare maritime de Cherbourg avec un gros caillou sur la tête. Deux cent femmes en colonnes avec les Allemands et leurs mitraillettes de chaque côté. Arrivés à l’arsenal, ils les mettaient à vider les wagons de ciment. Elles portaient sur leur tête des sacs de 50 kg. Elles étaient vraiment costaudes. Le soir elles rentraient avec leurs cailloux sur la tête et les laissaient à l’entrée de l’hôtel. Le matin elles les reprenaient; comme ça elles avaient les mains en l’air, et ne pouvaient pas fuir. Elles étaient très mal nourries. Je les ai vu ramasser des miettes de pain par terre. Rommel inspecte le Mur Les Allemands de la Wehrmacht nous disaient qu’ils en avaient marre de la guerre, ils parlaient bien le français ; certains traitaient Hitler de fou, « il voulait faire mieux que Napoléon !». Il y avait des soldats âgés sur le mur de Normandie ; certains avaient soixante ans, ils n’avaient plus envie de faire la guerre contrairement à la jeunesse hitlérienne et aux SS. J’ai vu Rommel en 1943. Il venait visiter les fortifications à Cherbourg. J’étais en train de terrasser, de creuser la montagne du Roule avec le pistolet pour percer les trous pour mettre les mines. Il a passé une inspection, mais il était difficile de le distinguer, ils portaient tous des imperméables verts. Quand il est reparti, les Allemands nous ont dit que Rommel était venu. Il fallait bien travailler Au début de 1943, les Allemands ont coupé tous les arbres de la région, et les personnes âgées ont été réquisitionnées pour les planter dans les champs et dans les marais ; ils faisaient des trous dans la terre pour les planter debout ; les Allemands coupaient les arbres à trois mètres de hauteur à la dynamite. C’était pour empêcher les planeurs d’atterrir, on les appelait les « asperges de Rommel ». Un beau jour ils ont décidé d’inonder le marais ; au cours d’une tempête, tous ces arbres ont été couchés ; avec un bateau à fond plat je les ai récupérés ; on a eu du bois pour se chauffer pendant trois ans ! Pendant l’été, j’ai travaillé pour une entreprise allemande, je devais faire le goudronnage des toits des hangars pour avions. Le responsable allemand avait abattu beaucoup d’avions. Il avait un lapin. Chaque jour, je devais le nourrir, et je ramassais les feuilles de pissenlit une par une. Un matin, quatre avions sont partis en Angleterre. Je soignais les lapins, quand je les ai vu revenir tous les quatre. Le quatrième avion était, en fait, un avion anglais ; il était revenu avec les avions allemands; il a tiré sur les trois autres et les a abattu, il est reparti au ras de la mer.

La Résistance Un jour la laiterie Gloria, à Carentan, a pris feu ; il y avait 450 tonnes de beurre, et j’ai vu les Allemands essayer d’éteindre le feu avec des canons à eau. Ca ne pouvait être qu’un sabotage, c’est ce que beaucoup ont pensé. Mais il ne fallait pas faire de sabotage, car les Allemands prenaient les gens du pays comme otages et les fusillaient. A Saint-Clair, un avion s’est écrasé, l’équipage a atterri en parachute au bord d’une forêt ; les fermiers ont accueilli les trois aviateurs anglais ; ils ont tous été fusillés. A Méautis, à 4 km de Carentan, quatre jeunes, dont un de ma famille, ont été fusillés pour avoir accroché des bouts de chiffon blanc à des arbres fruitiers. C’était pour éviter que les oiseaux viennent manger des fruits. Les allemands ont cru que c’étaient des signaux pour les avions anglais.

Le Débarquement, petite «promenade en Angleterre» Au mois de juin j’étais encore réquisitionné, mais je suis rentré chez moi une deuxième fois à cause des bombardements. A Cherbourg, ça chauffait tellement que les Allemands n’avaient plus le temps de s’occuper de nous. Ils s’organisaient pour défendre la côte. Je me doutais un peu que le débarquement allait arriver. J’avais un oncle qui habitait à Trévières, personne ne savait, même pas sa femme, qu’il avait un poste émetteur pour renseigner les Anglais. Un jour il m’a dit : « Tu sais, s’il y a un débarquement dans le coin, tu diras aux Américains et aux Anglais « Be welcome !». Il a été décoré après la guerre. La nuit du 5 juin 1944 j’ai pas très bien dormi. Les avions envoyaient partout des fusées parachute, pour voir s’il y avait des mouvements de troupes allemandes ; ils tournaient sans arrêt. A 20 h 30, un américain est arrivé chez mes parents à Houesville. Il nous a dit « American !». Alors, on a compris que c’était un Américain. Il nous a demandé s’il y avait des Allemands, il nous disait : « Boche ? Boche ? ». On lui a répondu non. Il est même pas resté cinq minutes et il est parti se camoufler dans les champs. Vous auriez vu l’équipement. Il en avait lourd : des grenades, une mitraillette, une bouée, un gilet pare-balles… Un grand gaillard, on aurait dit qu’il faisait deux mètres de haut. Dix minutes après, une moto s’est arrêtée dans la cour, c’était un Allemand. Il s’est mis à bricoler sa moto, il devait avoir un problème de bougies. On a eu peur pour nous. Puis il est reparti sur sa moto ; il y avait une grande ligne droite, on l’a entendu sur un bon kilomètre. Le lendemain matin, on a vu deux américains morts sur le bord de la route. On est libérés Les obus passaient au dessus de notre maison. On entendait les bruits des combats. Puis les planeurs sont arrivés. Ils tombaient un peu partout dans les champs; ils évitaient les marais car ils étaient inondés avec deux mètres d’eau, mais certains se sont tout de même noyés. Pour faire descendre les planeurs dans les champs c’était pas facile à cause des « asperges de Rommel ». Pour les parachutistes ça a été difficile au début, puis quand le gros du débarquement est arrivé et qu’ils ont envahi tout le secteur on s’est dit : « Cette fois on est sauvés ; c’est fini ». Quand les Américains ont débarqué on est pas parti de chez nous ; ils ne nous interdisaient pas les déplacements ; on allait partout, comme on voulait. Ils nous disaient rien, au contraire, ils nous jetaient des cigarettes, du chocolat, des boites de ration Keloggs Ils ont été gentils avec nous ; on a pas à se plaindre des Américains. On trouvait beaucoup d’objets qui leur appartenaient. On a récupéré des parachutes, il y en avait partout, dans les champs, dans les arbres. Les parachutistes américains les laissaient sur place ; on en a fait des chemisettes en soie de toutes les couleurs ; chaque couleur de parachute indiquait la marchandise transportée. La Manche était couverte de bateaux Le 10 juin je me promenais à vélo sur une route en bord de côte. J’avais mis des bouts de tuyau de compresseur à la place des pneus, avec un boulon pour tenir ça. Quand j’ai vu les bateaux ! Vous auriez vu l’armada de bateaux qu’il y avait. La Manche était couverte de bateaux. La mer était très mauvaise. Il y avait des bateaux à fond plat pour pouvoir approcher le plus près de la côte. J’ai vu les chars amphibies qui venaient par la mer ; ils étaient entourés d’un gros boyau d’acier, et du liège tout autour. Les Américains avaient monté des « saucisses » : une cinquantaine de gros ballons. Quand ils sont arrivés, ils ont lancé des milliers de tracs par avion. J’ai pédalé vers Sainte-Marie-du-Mont. Le bourg était libéré. Il y avait des Américains partout, les Allemands étaient partis. Sainte-Mère-Eglise a été libéré le 6 juin, la première ville libérée dans la Manche. Carentan a été libérée après nous. J’allais à Sainte-Marie du Mont sur mon vélo ou à pied, j’emmenais aux Américains du calva que me parents faisaient, et je ramenais des boites de ration et des cigarettes. Je connaissais très bien tout le secteur car mon grand père y avait gardé des grands troupeaux moutons pendant des années. Vous auriez vu toutes les munitions qu’il pouvait y avoir dans les champs ; des tentes partout, ils entassaient les sacs de farine, et au bout d’un moment, comme ils ne pouvaient plus rentrer dans les champs, ils roulaient sur deux rangées de sacs avec leurs GMC ; ils mangeaient beaucoup de pain de riz, et de pain blanc ; ils ravitaillaient aussi les boulangeries ; les allemands avaient du pain noir. On mangeait des boites de ration ; on ne savait pas lire l’américain alors des fois on ouvrait une boite en croyant que c’était des pommes de terre alors que c’était de la confiture, faite uniquement avec de la peau d’orange, très amère. Arrêtés par la Police militaire Vers le 16 juin, un officier américain qui était logé chez le maire de la commune de Houesville, m’a dit : « Voulez-vous venir faire un tour sur la plage ?, je m’en vais porter du courrier ». On est monté avec mon frère dans sa jeep. L’officier avait des documents à apporter ; une vedette rapide l’attendait sur la côte. On est descendu de la jeep et avec un ami on est parti se promener sur la plage. Il y avait des bateaux par milliers, certains étaient énormes, ils n’accostaient pas. Il y avait des camions amphibies. On était à 200 mètres à peine de la jeep, tout d’un coup une autre jeep est arrivée, c’était la Police militaire – Military Police. Ils nous ont obligé à monter dans leur Jeep ; on leur a dit qu’on était avec un officier américain mais ils n’ont rien voulu savoir. Ils nous ont emmené dans les dunes et gardé dans des grandes tentes carrées pendant une demi-heure. Puis ils nous ont ramené sur la plage et nous ont fait monter dans une vedette rapide en direction de Southampton en Angleterre. Pendant ce temps, l’officier américain qui nous avait amenés nous cherchait partout ; le lendemain après-midi on est remonté dans un bateau en direction de Sainte-Marie-du-Mont, l’officier américain nous attendait là-bas avec sa Jeep. Nos parents se demandaient bien où on était partis, mais l’Américain les avait rassuré C’est lors de cette « petite promenade » en Angleterre qu’on a vu tous les bateaux qu’il pouvait y avoir ; c’était incroyable ; il y avait toutes espèces de bateaux. Heureusement que les Allemands n’avaient pas le matériel des Américains ; on ne serait plus là. Les Allemands n’avait plus grand chose. Ils avaient tellement grand à surveiller, jusqu’en Russie. Mais ils ont résisté quand même; il y avait des blockhaus dans tous les coins. Beaucoup d’Américains ont été tués. J’ai vu ceux qui conduisaient les GMC plein de cadavres ; ils les emmenaient au cimetière à Blosville.

Roger Lecheminant en 2004

Roger Lecheminant in 2004

Après le Débarquement, rencontre avec le General Bradley Mort et destruction Il faut avoir vécu la guerre pour se rendre compte de tout le matériel qui est venu d’Amérique. Il y avait de tout. Ils faisaient un camp d’aviation en un rien de temps ; les pistes d’envol pour les gros avions quadrimoteurs étaient faites avec des plaques en acier qui s’emboîtaient les unes dans les autres, ou du grillage qu’ils déroulaient. Un bon mois et demi après le Débarquement, au mois d’août, je suis allé à Caen en stop avec les Américains, pour aller chercher un vélo, car je faisais beaucoup de sport. Après j’ai retraversé en vélo toute la ville de Caen ; il y avait un passage très étroit rue Saint Jean, on ne pouvait même pas passer en vélo. Toutes les maisons étaient écroulées, les rues étaient encombrées de cailloux. La seule chose que je déplore, c’est qu’ils ont démoli des villes par les bombardements alors qu’il n’y avait pas un Allemand. A Caen il y a eu plusieurs milliers de civils tués. Les maisons étaient complètement détruites ; ils bombardaient à 4 heures du matin, pendant que les gens dormaient ; ils étaient tués en plein sommeil, j’en ai vu. La reconstruction Des entreprises ont fait fortune à déblayer tout ça. Après le Débarquement, il y avait énormément de travail , il fallait refaire les routes. J’ai travaillé pour une entreprise qui bouchait les trous de bombes. Je faisais comme tout le monde : lorsque j’avais 150 m3 j’en comptais le double. On avait jamais assez de terre pour combler les trous, alors les américains y mettait les munitions, et même des chars. Mais cinq ou six ans après, il a fallu creuser pour les ressortir. On touchait pas grand chose, ça nous payait la nourriture. J’ai un peu travaillé à faire des fosses dans un cimetière avec un de mes oncles. Mais ça payait pas beaucoup. Ma rencontre avec le général Bradley début juillet 1944, j’ai serré la main d’un général : je discutais avec les gendarmes de Carentan ; le général était dans le coin avec ses troupes ; il est arrivé vers nous, il m’a regardé et m’a serré la main. Il m’a demandé des renseignements ; il parlait très bien le français et voulait savoir où étaient les Allemands, je lui ai répondu qu’ils pouvaient être partis derrière la rivière de la Sienne du côté de Coutances. A ce moment je ne savais pas qu’il s’agissait du Général Bradley. Quand il est reparti, les gendarmes m’ont dit que c’était lui. Le quartier général des Américains était dans un château au Petit Liesville ; il est resté là pendant un moment, puis ils l’ont changé. Avant le Débarquement les Allemands avaient occupé ce château. Des jeux dangereux On était jeunes, on a fait des bêtises. On démontait les grenades, on sortait la poudre et on en mettait un peu dans le fond de la cartouche pour faire des cartouches de chasse. On moulinait la poudre de fusil de guerre avec un moulin à café; la poudre de grenade ça fait exploser tandis que la poudre de fusil de guerre est faite pour pousser. C’était dangereux mais on avait peur de rien. Un jour, un collègue a eu une main déchiquetée par une charge de dynamite. On s’est calmé.

Epilogue Je ne souhaite pas que les jeunes voient la guerre ; la guerre c’est un massacre, c’est une honte ; j’ai vu des soldats américains déchiquetés. Le Débarquement c’est fini, et je ne demande pas à le revoir et je ne demande pas à ce que les jeunes voient cette chose là. C’est une honte de faire massacrer des gens pour rien du tout. Les jeunes ne se rendent pas compte de ce que ça peut être ; je ne souhaite pas que les jeunes voient une guerre ; c’est terrible…